« Je ne veux parler que de cinéma, pourquoi parler d’autre chose ? Avec le cinéma on parle de tout, on arrive à tout »

Jean-Luc Godard

Sortir la tête du sable, lever les yeux vers les monuments de la vie, sans recherche de métaphore avec ma mémorable découverte des pyramides : tel a été mon principal win lors de ma première au Festival international du Film du Caire. J’ai vu des films que je n’aurais jamais vu autrement, écouté des conférenciers hors du commun, mais surtout, j’ai été sortie du microcosme Occident/petit monde belgo-bruxellois/stories d’instagram/médias francophones mainstream. J’ai pris conscience que le monde nous voyait autrement, s’il prenait la peine de nous voir, puisque nous étions des petites pièces d’un puzzle géant. 

 

Ma sélection :

  1. Al Jahiliya

Film marocain réalisé par Hicham Lasri. Ce réalisateur est issu d’une fournée de nouveaux réalisateurs marocains, très engagés dans les réalités sociales qui touchent leur pays. Ce film relate les drames sociaux vécus par 6 personnages différents n’ayant à priori aucun lien entre eux – si ce n’est la misère situationnelle dans laquelle ils sont. Dans ce film, on est exposé de manière assez crue à une situation dont on a déjà entendu parler mais dont on prend soudainement conscience par le surréalisme des scènes. Le film se déroule en toile de fond de deux faits sociaux et historiques marquants :

  • l’année 1985 où Hassan II, alors roi du Maroc, décide, pour des raisons économiques nationales (sécheresse accrue au pays) de supprimer l’Aid El Adha. Ma voisine journaliste française me demandait en quoi c’était si marquant – pour toute une génération d’adultes/chefs de famille de l’époque, cette fête est une institution inébranlable dans la culture marocano-musulmane. A mon sens elle est presque dévêtue de son rite islamique pour se vêtir presque exclusivement d’un sens familial, tribal, voire, identitaire. C’est dire si ce ne pas la célébrer à un impact social majeur!
  • l’autre fait marquant est cette satanée loi, une aberration humaine, qui permet à un violeur d’épouser sa victime pour se dédouaner des poursuites. Je vous laisse aisément imaginer le nombre de vies qu’une loi pareille a détruites…

Ce film a été pour moi le plus fort de la sélection : j’y ai ressenti nombre d’émotions, de la gêne, de l’inconfort, de la révolte, du dégoût, de l’empathie, tout dans le désordre parce qu’en tant que fille de la diaspora marocaine, forcément, j’avais vu de près ou de loin des situations dont l’essence était similaire, mais cet espèce de surréalisme cru m’a fait prendre une autre mesure de cette réalité. A voir absolument.

  1. The Tower

Vous expliquer comment j’ai atteri dans la salle de cinéma ne fera que vous illustrer à quel point ma vie est une succession d’évènements dont je n’ai pas la maîtrise et le lâcher prise auquel on se doit de faire face parfois 🙂

Toujours est-il que je venais voir un tout autre film, mais j’ai visionné à la place un film d’animation proposant la vie dans les camps palestiniens. Ce film a été proposé par un norvégien, Mats Grorud, dont la maman était médecin et qui a raconté sa réalité, celle qu’il avait vécue avec ses copains dans les camps. Il nous raconte des histoires de gens, en réalité sous fond de tensions et de guerre latente. A mon arrivée au Caire, j’ai rencontré ce type un peu bizarre avec une grande caisse contenant des marionnettes et je me suis dit : ce festival va regorger de gens chelous, je kiffe déjà 🙂 Ce n’est qu’après la projection, que forts de ce lien d’étrangeté, j’ai pu échanger avec lui. Il était un peu perturbé par l’accueil que le public égyptien avait réservé au film. Il faut savoir que tout le festival est proposé dans des salles de cinémas publics et que la cairottes ont une affinité historique et culturelle avec le cinéma. D’autant plus qu’ils s’expriment facilement, ils ont pu communiquer avec lui sur leur incompréhension par rapport au film. Leur regard à eux est déjà un parti pris, certains ne ressentaient pas le besoin de comprendre la vie des gens dans les camps mais bien un véritable positionnement politique. Cette vision montre à quel point le public est partie intégrante du film : le réalisateur, lui, a tourné ce film pour raconter sa vérité à un public occidental, peu exposé à ce genre de réalité. Pertinent et profondément humain.

  1. Heaven without people

Encore une vision d’une réalité qui n’est non seulement pas la nôtre et qui nous présentée d’une façon totalement inédite, by Lucien Bourjeily. Un déjeuner de famille autour de Pâques au Liban, réunissant maronites, chiites, chrétiens orthodoxes, un melting pot cultuel autour d’une même culture…un style que nous ne pouvons réellement pas comprendre en Occident. Pourtant, l’une des tantes, plutôt conservatrice, s’exclame pendant le déjeuner “je me suis baladée dans Paris, je n’ai rien compris à ce qui se passait. On ne sait plus qui est qui, dans quel quartier, tellement on est mélangé”. En gros, c’est le bordel. Elle se sent plus à l’aise dans son pays arabe certes mais où chaque culte est identifié et à “sa place”. La vision de la mixité et l’harmonie se téléscope durant tout le film, dans lequel on vit un rebondissement qui nous amène à la ridicule vision de l’esprit lorsqu’on s’y met, ou plutôt, lorsqu’on ne s’y met pas. En sortant de ce film, je me suis dit : mais qu’est ce qu’on peut être bêtes! Un film qui apprend à accepter ce qu’on est, on se prend presque d’affection pour notre tempérament.

 

  1. The White Crow

Présenté par Ralph Fiennes himself, ce film raconte la vie d’un danseur étoile russe, Rudolf Noureev, hébergé en France, à l’Opéra Garnier plus exactement. On y découvre les frasques d’une star de l’époque, la valeur du travail, la lutte pour être reconnu artistiquement et socialement lorsqu’on ne rentre pas dans le moule pré-établi. Ce danseur n’a absolument aucune discipline (en danse classique on appelle ça une oxymore, c’est juste LE paradoxe) ni sociale, ni artistique. J’ai été interpellée également par sa vérité sur le pouvoir à l’époque, cet état de contrôle qui le prive de la liberté d’être ce qu’il est. Pourtant, si j’enlève mes lunettes libérales, je peux ouvrir les yeux sur la réalité de l’époque : l’état s’occupe de ses citoyens comme des pupilles de la nation et noue ainsi une sorte de contrat à vie, où l’on doit rendre à l’état ce qu’on a reçu, à un moment ou à un autre. Si la valeur de la liberté qui nous pousse n’est certes pas la valeur majoritaire dans cette culture, cette vision de l’esprit ne peut nous priver de voir les autres valeurs qui prédominent et qui constituent leur vérité : le sentiment d’appartenance et la cohésion, même imposée.

Salma Haouach

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