Nous avons reçu, au Lab, l’écrivain Frédéric Mitterrand pour son dernier ouvrage paru aux éditions Xo, « Napoléon III et Victor Hugo. Le duel ». À travers ce livre, Frédéric Mitterrand nous fait revivre le conflit qui opposa ces deux grandes figures historiques du Second Empire. En 1851, après avoir été président de la République durant 4 années, Louis-Napoléon Bonaparte se fait proclamer empereur. Victor Hugo, député de l’Assemblée dissoute et célèbre écrivain, connaît bien ce nouvel empereur. Il le suit mais n’hésite pas à s’opposer farouchement à lui. Le littéraire et le pouvoir, amis ou ennemis ? Comme le souligne Frédéric Mitterrand, ancien ministre de la culture : « Victor Hugo, le héros du romantisme, contre Napoléon III, le héros romanesque. Leur duel domine l’histoire du XIXe siècle, mais il se prolonge jusqu’à aujourd’hui, car c’est celui de la pensée et du pouvoir ».

@Bruno Klein
Des propos recueillis par Marie-Gaëlle Van Snick
Marie-Gaëlle Van Snick : Frédéric Mitterrand, vous êtes avec nous pour nous présenter votre dernier ouvrage « Napoléon III et Victor Hugo. Le Duel ». Le sous-titre en est « Le voleur et son ombre », pouvez-vous nous en dire plus ?
Frédéric Mitterrand : En fait, c’était le titre « Le voleur et son ombre » que je voulais mettre au départ. Finalement, je pense que Napoléon III a volé la République à son profit. Et Victor Hugo l’a suivi sans cesse. Avant, pendant, et après. Et jusqu’à maintenant, d’ailleurs, parce que le jugement qu’on porte sur Napoléon III a été façonné en partie par Victor Hugo. Donc, le voleur et son ombre. Mais finalement, avec l’éditeur, on s’est dit que « Le voleur et son ombre », c’était un peu obscure et que « Le duel » était plus approprié.
MG.VS: Vous parlez aussi d’un duel fratricide entre les deux. Pourquoi ?
F.M : Fratricide, non. Ils n’étaient pas deux frères mais deux personnes qui ont cherché à se séduire mutuellement. Ça a failli marché mais ça n’a pas été le cas. Contrairement à ce que l’on croit, ils n’étaient pas ennemis au départ. En revanche, ils se connaissaient extrêmement bien. Ils ont essayé de se séduire l’un l’autre. Si ça n’a pas marché, c’est parce que Victor Hugo était trop impétueux et que le Prince-Président, parce qu’on a oublié que Napoléon III était Président de la République pendant 4 ans, était trop prudent pour s’embarrasser de quelqu’un de difficile comme l’était Victor Hugo.
MG.VS : Il y avait de l’admiration entre les deux ?
F.M : Il y avait de l’intérêt. Victor Hugo admirait le futur Napoléon III avant de le détester et Napoléon III a toujours admiré Victor Hugo. Mais évidemment, c’était un peu difficile puisque Victor Hugo le traînait dans la boue.
MG.VS : Une préoccupation réunissait les deux, à savoir la réduction de la misère et de la pauvreté. Napoléon III avait déjà écrit son traité sur « L’extinction du paupérisme ». C’était donc un point de convergence entre eux mais c’est aussi ce qui les a séparé. Vous écrivez d’ailleurs : « Décidément, ce Président semble avoir oublié qu’il a écrit, un jour, un traité sur l’extinction du paupérisme ».
F.M : Oui. Victor Hugo avait une vision du peuple très fantasmée. Ce n’est que quand il est parti en exile et qu’il a vraiment commencé à réunir tous les éléments qu’il avait amassés pour « Les Misérables » qu’il a pu faire un vrai portrait du peuple français. Mais, en fait, il ne le connaissait pas si bien que ça. Tandis que Napoléon III, lui, avait une connaissance assez intime du peuple puisqu’il avait été en prison. Il avait fait des coups d’états qui n’avaient pas marché et il avait fréquenté toutes sortes de gens de milieux très différents. Donc, entre l’un qui divinisait le peuple sans bien l’avoir connu et l’autre qui le connaissait très bien, il y avait effectivement une préoccupation sociale. Mais, à mon avis, la préoccupation sociale de Napoléon III était plus concrète.
MG.VS : Quelle est la différence fondamentale entre les deux et, au contraire, qu’est-ce qui les réunit. C’est vraiment l’amour pour la France ?
F.M : Ce qui les réunit, c’est un amour pour la France qui n’est pas tout à fait le même, mais qui est toutefois très intense. Ce qui les sépare, c’est l’idée de la République. Victor Hugo a commencé comme ultra monarchiste mais, au cours du siècle, il s’est fait à l’idée de la République au point d’en devenir le héraut, l’homme qui la proclame.
MG.VS : Avez-vous écrit ce livre pour réhabiliter Napoléon III, pour qu’il ne soit pas uniquement l’homme du coup d’état ou de la Guerre avec la Prusse ?
F.M : Oui, mais il n’a plus vraiment besoin d’être réhabilité puisqu’une nouvelle école d’historiens le fait largement. Malgré tout, il a fait un coup d’état qui s’est terminé par un désastre. Tout n’est donc pas positif, c’est le moins que l’on puisse dire. Simplement, ce qu’on nous apprenait à l’école, c’était qu’il était un vaurien qui n’avait rien fait. La République s’est construite sur le dénis de Napoléon III pour une raison très simple, c’est qu’il a failli réussir. Trois mois avant la Guerre avec la Prusse, il fait un referendum et le gagne largement. Son régime était donc, de fait, assez solide. Il ne faut jamais faire de guerre et il ne faut pas les perdre, c’est tout.
MG.VS : Peut-on dire que Victor Hugo avait une attirance pour la politique ?
F.M : Victor Hugo était pétri de politique. Toute sa vie, il a été proche du pouvoir. Il a reçu une pension de Louis XVIII quand il était tout jeune. Il a reçu la Légion d’honneur de Charles X, je crois. Ensuite, il était le conseil intime du Roi Louis-Philippe. Toute sa vie il a été fasciné par le pouvoir et, forcément, quand on est fasciné par le pouvoir, on fait de la politique.
MG.VS : N’a-t-il pas été, quelque part, vexé de ne pas avoir été nommé ministre ? Par exemple, à quel poste l’auriez-vous vu ? Ce n’était pas encore comme maintenant, mais Ministre de la Culture par exemple ? Je pense que c’est quelque chose que vous connaissez.
F.M : Beaucoup de gens pensaient qu’il deviendrait Ministre de l’Instruction Publique. Lui a toujours dit qu’il n’avait jamais souhaité le devenir. S’il s’est fâché avec le futur Napoléon III c’était pour des raisons morales mais pas du tout par déception. En fait, il le dit tellement qu’on n’est plus tout à fait sûr que ce qu’il dit soit vrai. En tout cas, semble-t-il, il n’a jamais voulu être ministre.
MG.VS : Peut-on qualifier la relation entre Napoléon III et Victor Hugo d’amour-haine ?
F.M : Amour-haine, je ne crois pas. Amitié déçue, peut-être.
MG.VS : Vous écrivez également : « Leur duel domine l’histoire du 19ème siècle mais se prolonge jusqu’à aujourd’hui, celui de la pensée et du pouvoir. » Vous faites allusion à quoi avec notre période actuelle ?
F.M : Je fais allusion au fait que les hommes politiques cherchent toujours à avoir autour d’eux des intellectuels qui pourront les critiquer, voire les éclairer sur leurs actions. Le pouvoir tel qu’il s’exerce est toujours à la recherche de gens qui puissent penser le pouvoir. C’est le cas, actuellement, avec le Président que nous avons. Par ailleurs, les intellectuels et les gens qui réfléchissent un peu sur le long terme dans le cours de l’histoire ou de la sociologie ont toujours envie d’influer sur le pouvoir. Ils sont donc contents de pouvoir exercer un certain pouvoir médiatique mais ils espèrent que le Président ou les responsables les lisent et s’inspirent de ce qu’ils disent. Il y a donc toujours cette dichotomie entre la pensée et le pouvoir.
MG.VS : Avez-vous des noms à qui on pourrait comparer Victor Hugo et Napoléon III aujourd’hui ?
F.M : Bernard-Henri Lévy et Nicolas Sarkozy. Bernard-Henri Lévy se vivait un peu comme le nouveau Chateaubriand et Sarkozy l’écoutait. Aujourd’hui, je ne sais pas très bien quel parallèle on pourrait faire. Le dernier vraiment important, c’est André Malraux avec le Général De Gaulle.
MG.VS : Vous dites : « Ce duel entre le voleur et son ombre dura 20 ans jusqu’à la chute honteuse de l’aventurier politique et l’apothéose du prophète de retour de la République. » Au final, quel est le vainqueur de ce duel ?
F.M : Le vainqueur, c’est Victor Hugo puisqu’il apparaît comme le prophète de la République et que, par ailleurs, de par son talent et son génie, son œuvre est internationalement connue. « Les Misérables » est un livre que l’on peut trouver dans tous les pays du monde et dans toutes les traductions. Napoléon III est doublement vaincu : vaincu par la guerre et vaincu par la perte du pouvoir. Cependant, moi j’aime bien les vaincus. Je leurs trouve souvent des vertus. En fait, j’ai un peu essayé de rétablir la balance.
MG.VS : Que reste-t-il de Napoléon III et de Victor Hugo, hormis ses grands ouvrages ?
F.M : D e Victor Hugo, hors les grands ouvrages, il reste la pensée. Il reste les rêves. Il reste la mémoire. Regardez le film qui vient de sortir « Les Misérables » (de Ladj Ly, Palme d’or 2019 – Cannes ) et qui parle des jeunes des banlieues comme une sorte de lien du concept des Misérables d’une société à l’autre. Pour Napoléon III, promenez-vous dans Bruxelles. Regardez les avenues. Regardez la manière dont la ville est conçue. Napoléon III a conçu des modèles de villes modernes avec des grands axes et des grands arbres. C’est Haussmann qui a appliqué la chose à Paris mais Napoléon III l’a toujours soutenu. C’est un modèle qui est devenu mondial. Par ailleurs, Napoléon III a fait beaucoup de choses qu’on a oubliées mais sur lesquelles on a vécu, comme autoriser le droit de grève ou autoriser la création des syndicats, ce que la République et les régimes précédents n’avaient pas fait.
MG.VS : Pourquoi et comment conseilleriez-vous ce livre aux plus jeunes ?
F.M : Je leur dirais que si ce livre ne leur plaît pas, je leur ferai une bande-dessinée !
MG.VS : Merci Frédéric Mitterrand.
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