La débâcle, est le dernier roman de Romain Slocombe, paru aux éditions Robert Laffont. L’auteur vous plonge dans les huit jours qui ont précédé la chute de Paris, du 10 juin 1940, lorsque le gouvernement français abandonne la capitale, au 17 juin 1940 et l’annonce de l’armistice par le Maréchal Pétain. Romain Slocombe décrit l’exode de millions de Français, toutes classes confondues, qui se retrouvent sur les routes, au travers de ses personnages. Il évoque également l’ambiance des régiments coloniaux et les manœuvres de la classe politique et financière qui ont conduit le Maréchal Pétain au pouvoir. Un pan de l’histoire française peu glorieux.
Salma Haouach : La débâcle est un roman historique. Certaines choses sont extrêmement précises et puis d’autres sont romancées. On est sans cesse ballotté entre réalité et fiction. Cela raconte donc l’histoire qui a mené la France à l’Occupation ?
Romain Slocombe : Au départ, je me suis focalisé sur la chute de Paris, qui est un sujet assez vaste. C’est l’issue de la drôle de guerre, c’est-à-dire qu’on se bat à peine durant des mois. Hitler arrive en Hollande et en Belgique, et l’armée française va se précipiter dans ce traquenard. Elle va repartir au nord et y piéger ses meilleures forces. En étudiant la question de près, j’ai découvert qu’il y avait huit jours fondamentaux avant que Paris ne se réveille sans gouvernement, le 10 juin 1940. Tout le monde a fichu le camp, les ministres, le Président de la République. On entend le bruit du canon qui avait débuté depuis plusieurs jours, mais là, il est très proche. Du jours au lendemain, le Gouverneur militaire de Paris, le Général Hering dit : « On se battra maison par maison ». Il est remplacé par un autre général qui, lui, dit : « Paris sera déclarée comme ville ouverte ! » Ce qui est presque plus inquiétant. Si Paris est ouverte, cela veut dire que les Allemands peuvent entrer comme ils veulent. Ils feront ce qu’ils prétendaient faire en 1914 : violer les femmes, couper les mains des hommes etc. Finalement, ça sera pire.
S.H : C’était en quelle année exactement ?
R.S : En juin 1940. L’Allemand est l’ennemi héréditaire de la France, c’est la guerre de 14, la guerre de 1870. Il y a le mythe de la bataille de la Marne, à l’été 1914, où les Allemands, menaçant Paris, avaient été repoussés. Donc, tout le monde est persuadé que la Loire va jouer le même rôle que la Marne. En attendant, Paris est laissée aux Allemands. Les portes sud de la ville sont engorgées par le plus monstrueux embouteillage jamais connu en France, voire en Europe. Il s’étend jusqu’à la Loire. Ce sont des millions de gens, toutes classes confondues, qui se retrouvent sur les routes.
S.H : Tout le monde abandonne la ville ?
R.S : Oui, en même temps que les troupes retraitent. Ce sont des doubles embouteillages. Certaines routes nationales sont réservées uniquement aux troupes. Tout ça sous le feu d’avions qui bombardent, avec le manque d’essence, de ravitaillement. C’est la panique générale. Les voitures tombent en panne. Le pillage se généralise. Cela crée une sorte d’exode de cauchemar. Je devais choisir, à l’intérieur d’un cadre très précis, les itinéraires de la débâcle.
S.H : La débâcle, c’est quand tout le monde part ou c’est la débâcle qui a conduit à avoir Paris ouverte ?
R.S : Il y a une défaite militaire. Étymologiquement, la débâcle c’est quand un fleuve gelé se disperse en grands blocs de glace qui vont en se séparant. Ce dégel fait que tout est emporté. L’armée est emportée de la même manière. Et puis, il y a une satire sociale humaine dans ce roman. Par exemple, il y a un artiste photographe mobilisé. Il a une trentaine d’années et il est à moitié juif. De plus, il est pied-noir, natif d’Oran. Il se retrouve dans un régiment de seconde catégorie, un régiment colonial. Je dis « seconde catégorie » car, justement, on y voit tout le racisme de l’armée française. Tous les africains confondus se retrouvent sous l’appellation TS, Régiment de tirailleurs sénégalais. Il y a aussi les régiments NA, Nord-Africain, qui englobent toutes les troupes qui sont formées en Algérie. Elles sont toutes encadrées par des officiers blancs français. On a pratiquement jamais vu un Africain promu au grade de lieutenant.
S.H : Vous remettez l’accent sur ce que la France à pu faire à l’époque ? À l’échelle de l’Humanité, c’était il n’y a pas si longtemps que ça. C’était une de vos volontés?

©John FOLEY/Opale/Leemage/Éditions Robert Laffont
R.S : Ce n’est pas le principal de l’histoire, mais je voulais absolument parler de ces troupes coloniales qui, en plus d’avoir été victimes de massacres, tiennent les positions, sont embusquées et tirent. Ils sont là pour la France. On est venu les chercher en Afrique. Ils ont abandonné leurs familles. On leur donne un fusil de très mauvaise qualité et ils se font tués au combat. Plus tard, les survivants vont participer à la Résistance.
S.H : C’est assez effrayant de savoir à quel point on peut croiser tant d’humanité et d’inhumanité. Ça s’entrechoque tout au long du livre. C’est la nature humaine qui est comme ça ? Qu’est ce qui fait qu’on puisse devenir ainsi ?
R.S : Il y a un effondrement d’une société et le reflex de sauvegarde personnelle devient très fort. Des gens qui, d’habitude, sont aimables, vont retourner à l’égoïsme naturel et, ceux qui ont assez peu de scrupules, vont vraiment se comporter de manière honteuse. Par contre, ça va aussi déclencher de beaux gestes. Par exemple, un restaurateur qui sert des repas gratuits à tous ceux qui passent devant son restaurant sur la route nationale. C’est un fait réel que j’ai retrouvé. L’armée française, c’est celle de la République qui englobe tout le monde. Par exemple, un officier républicain, peut-être un peu paternaliste, dit : « Nous sommes tous ensemble. Les soldats noirs, ce sont les enfants de la République ! » Il va assumer sa responsabilité jusqu’au bout. Au contraire, les politiciens, eux, vont plutôt profiter de la situation. Au passage, je montre comment une classe politique et financière française a vraiment manœuvré d’une manière infâme pour accélérer la défaite française et pousser Pétain au pouvoir.
S.H : Que voulez-vous qu’on retienne de ce livre ?
R.S : D’abord, je voulais rendre hommage aux soldats morts. Évidemment, il y a le passé héroïque de la Résistance, la Déportation, la Libération de Paris, les troupes du Général Leclerc etc. Les Français ont tendance à faire surnager tout ce qui était magnifique dans l’histoire, et à cacher le désagréable. Mais le sacrifice des officiers n’avait pas encore bien ressurgi. Je ne parle pas des officiers de très haut rang, car les généraux ou colonels étaient plutôt d’extrême droite et pas forcément partisans de la lutte. Mais il y a eu aussi des actes de bravoure extraordinaires. Les gens qui ont perdu un père ou un grand-père en juin 40, c’était « pas de chance ». L’idée générale est que la France s’est débinée. Mais c’est faux. Une grande partie a fini par se débiner, mais c’est parce qu’ils étaient trahis, mal équipés, et qu’on leur donnait des ordres absurdes. Il y a beaucoup de cas comme ça, comme mon héro, Lucien, dans le roman. Il se dit : « C’est foutu. On s’est battu. On lâche prise. Pourquoi rester ? Pourquoi se faire capturer ? Pourquoi se faire tuer ? » Finalement, c’est plus important pour lui de retrouver sa fiancée. Je voulais montrer ce qu’était le soldat français de mai-juin 40. Je voulais aussi donner une vision réaliste de ce panorama des bonnes ou mauvaises réactions des gens. Et puis, aussi, il y a un signal d’avertissement. Nous avons des gens pourchassés dans leur pays, qui viennent chez nous. La France est un pays d’émigrations successives. Aujourd’hui, nous sommes un pays privilégié, mais demain, ça peut s’effondrer. On peut espérer être, à notre tour, accueillis ailleurs.
Retrouvez, ci-dessous, le podcast de cette rencontre dans son intégralité :
La débâcle – Romain Slocombe – Ed. Robert Laffont