José Frèches, auteur de best-sellers traduits en 21 langues à travers le monde ( « Le Disque de Jade », « L’Impératrice de la soie » et « L’Empire des larmes » ), est venu nous parler de son dernier ouvrage « Nous étions deux », paru aux Éditions Xo. José Frèches avait un frère jumeau. Ils étaient deux mais ne faisaient qu’un. En novembre 2011, à l’âge de 61 ans, son frère s’en est allé pour toujours. Comment continuer alors que José Frèches a cru également mourir ce jour-là ? Dans « Nous étions deux », au-delà du récit de son expérience de jumeaux, c’est le vaste mystère de la gémellité qui est développé dans cet ouvrage.

Salma Haouach : Dans ce livre, vous abordez la connexion entre deux êtres et la construction de son identité. Cela touche évidemment les jumeaux, mais pas seulement. 

José Frèches : J’ai perdu mon frère jumeau en 2011, des suites d’un cancer du rein. Nous étions de vrais jumeaux. Nous avions 61 ans. Même si je m’y attendais, cela a été un bouleversement total dans ma vie. Je me suis retrouvé tel un unijambiste obligé de s’inventer une prothèse pour continuer à avancer. 

S.H : Le syndrome du membre fantôme en quelque sorte ? 

J. F. : Aujourd’hui, je ne l’ai plus. Un des buts de ce livre était de faire le point sur la situation, comprendre qui je suis et ce qui m’est arrivé. Je devais prendre conscience que notre gémellité avait totalement guider notre vie. Notre événement fondateur a été la division de la cellule dans l’utérus de notre mère. Après, on naît pratiquement ensemble, on vit ensemble, on découvre le monde ensemble. On apprend aussi à parler et marcher en même temps.

S.H : Le langage s’est développé en même temps ? 

J.F : Tout à fait, avec les mêmes mots. C’est normal puisque nous sommes dans le même environnement, avec le même code ADN. 

S.H : Vous dites que vous étiez le préféré de votre mère. La différence relationnelle avec vos parents conditionne ou modifie votre comportement ? 

J.F : Quel que soit le regard que les parents portent sur les jumeaux, des psychologues vous diront toujours que chaque parent choisi l’un des jumeaux pour s’en occuper davantage. De notre côté, nous avons un regard de jumeaux envers nos parents. Puis, je me suis aperçu que ma mère avait une préférence pour moi. Elle ne me l’a jamais dit, mais elle m’en a donné des preuves. Je n’en ai jamais parlé à mon frère pour ne pas le peiner, mais je pense qu’il l’avait ressenti sans jamais l’avoir dit. Nous avons toujours essayé de nous dire les choses, mais pas celles qui fâchent. Sans doute pour préserver ce qui nous unissait et éviter soit les germes d’une dispute, soit ceux d’une mésentente. Ce comportement était vraiment une nécessité fondamentale. 

S.H : Verbaliser rend peut-être la chose plus lourde à porter, alors que ressentir est une manière de ne pas la rendre réelle. Il y a beaucoup de non-dits dans les familles. C’est universel et pas seulement propre à la gémellité. 

J.F : Oui, tout à fait. Je dirais même que certains non-dits sont bons pour éviter les regrets de paroles malheureuses. On ne ressent pas forcément les choses de la même façon que l’autre. Ce sont des situations extrêmement délicates. C’est un fait dans les familles et les fratries, alors entre jumeaux, c’est encore plus évident ! Se fâcher avec quelqu’un qui est son pareil, c’est se fâcher avec soi. La vie est trop courte pour qu’on se paie ce genre de luxe. 

S.H : Vous appelez les personnes qui ne sont pas jumeaux, les sans-pareils. Cela voudrait dire qu’il y a une catégorisation, une sorte d’auto-stigmatisation puisque vous estimez faire partie d’une autre catégorie. 

J.F : Le terme de sans-pareil est un terme inventé par Michel Tournier dans « Les météores », roman à grand succès sur la gémellité. Mais ce livre contient pas mal de bêtises car Michel Tournier n’était pas jumeau. Néanmoins, cela semble évident de parler de sans-pareils par rapport à ceux qui ont un pareil. Aujourd’hui, on compte entre 15 et 17 millions de jumeaux monozygotes parmi les 7,5 milliards d’êtres humains sur Terre. C’est bien une exception extrêmement minuscule. Cela n’est en rien une stigmatisation, c’est un fait. Personne n’a choisi d’être pareil ou sans-pareil. 

S.H : Les pareils sont-ils tout à fait pareils ? En grandissant, vous prenez des voies différentes. Vous distancier, est-ce une nécessité pour tenter de vous définir en tant que personne ? Serait-ce différent si vous aviez été un sans-pareil ? 

J.F : Ça, c’est clair ! Sauf que ça ne peut pas être démontré. Par définition, nous sommes ce que nous sommes. 

S.H : On a l’impression, tout de même, que vous faites vos choix par rapport à votre frère jumeau plutôt que par rapport à vous, non ? 

J.F : Les deux. Il y a un va-et-vient perpétuel entre une envie d’individualité et cette gémellité essentielle et consubstantielle que nous voulons préserver. Mais dans l’individualité, il y a toujours cette culpabilité de se dire : « Moi, je fais ça, mais lui non ». C’est à la fois tragique et merveilleux. 

S.H : Selon vous, peut-on aussi observer ce genre de connexion chez des sans-pareils très proches, comme des frères et sœurs ? 

J.F : Les jumeaux ont une connexion comme les autres êtres humains. Il faut simplement identifier le récepteur quand on est un émetteur et réciproquement. La différence est que les sans-pareils doivent trouver la bonne longueur d’onde, tandis qu’elle existe déjà entre pareils. L’idée de connexion est juste, partagée par beaucoup de monde. Par exemple, lors d’un décès, il n’est pas rare que quelqu’un dise continuer à communiquer avec la personne par l’esprit. On la sent encore présente. Ce sont des choses que chacun peut vivre à partir du moment où nous en sommes à l’écoute. 

S.H : Ça sera un jour démontrable par la science, vous pensez ? 

J.F : Je pense qu’on finira par trouver des explications. Déjà, nous savons que le cerveau humain possède des capacités absolument incroyables dont seulement 1/10 sont exploitées. Il est possible qu’inconsciemment nous soyons capables de les canaliser et de les utiliser pour ce genre de phénomène. Je ne suis pas savant, mais je suis persuadé que la science, chimique ou électrique, aboutira à une réponse. 

S.H : Dans votre ouvrage, vous explorez certains mythes autour des jumeaux. Pouvez-vous nous en parler ? 

J.F : Il y a les fondateurs de Rome Romulus et Rémus, les dioscures Castor et Pollux ou encore un couple de jumeaux dont l’un incarne le bien et l’autre le mal dans la mythologie maya. Aussi, dans certaines sociétés, les jumeaux sont perçus négativement, au point qu’ils sont éliminés physiquement. Ce fut le cas, au siècle dernier, à Madagascar, où les jumeaux étaient tués à la naissance. Même si c’est moins le cas aujourd’hui, en raison des procréations assistées, les cas de gémellité restent relativement rares. Ce qui est rare est mystérieux, et ce qui est mystérieux a toujours alimenté les fantasmes. La gémellité continuera à fasciner les êtres humains encore pendant longtemps. 

S.H : Pour finir, que garde-t-on en soi quand son pareil s’en va ? 

J.F : On garde une immense présence du vide qui, paradoxalement, est très rempli. C’est un vide à très grande contenance. Un très grand volume. On le garde. En tout cas, moi, je le garderai jusqu’à la fin de ma vie. 

Propos recueillis par Salma Haouach 

Retrouvez ci-dessous le podcast de cette rencontre dans son intégralité :

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Résumé : 
Novembre 2011, José Frèches doit dire adieu à son frère jumeau. Ils avaient 61 ans. Une partie de son être a disparu également à ce moment. Comment continuer quand s’en va son pareil, son frère jumeau, son semblable, son meilleur ami et son pire ennemi ? José Frèches se confie sur le bonheur et la malédiction des jumeaux. Des confessions bouleversantes. Un livre positif pour nous inviter à dépasser le chagrin du deuil et savourer le goût de vivre autrement. Un livre pour tous, pareils ou sans-pareils. 

 

 

« Nous étions deux » aux Éditions Xo

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