Le Lab. a reçu Marie-Virginie Dru pour son premier roman « Aya », paru aux Éditions Albin Michel. Véritable touche à tout dans l’artistique, cet ancien mannequin, devenue photographe et sculpteuse, s’essaye aujourd’hui, avec brio, à l’écriture. Ce roman nous emporte en Afrique, sur les traces d’Aya, jeune Sénégalaise de 12 ans. Avec elle, nous allons vivre les petites joies simples de la vie, et les grands malheurs aussi. Une histoire d’amour, de résilience et de pardon qui nous fera voyager au Sénégal, mais surtout en nous-mêmes.
Salma Haouach : Je ne pouvais pas restée insensible au titre de ce premier ouvrage puisque ma fille s’appelle Aya. Dans votre livre, Aya veut dire jeudi. En arabe, ce n’est pas la même chose. Quelle est cette langue ?
Marie-Virginie Dru : En wolof.
S.H : Donc, ça se passe au Sénégal. Aya, comme ma fille, ça veut dire miracle.
M-V.D : C’est magnifique ! Le prénom Aya est composé de voyelles, c’est très positif. Ça vous emporte vers le haut. Tout de suite, le roman s’est appelé « Aya ». Après, les éditeurs ont cherché un autre titre. Ça devait s’appeler « Karabane »… Finalement, c’est redevenu « Aya » et j’en suis très heureuse.
S.H : C’est l’histoire d’une petite fille de 12 ans, pleine de rêves, qui voit son enfance brisée par quelque chose de malheureusement très universel… Donc, c’est l’histoire de la résilience. C’est l’histoire de l’espoir ?
M-V.D : C’est l’histoire d’une petite fille africaine. Je pense que ces enfants ont, au fond d’eux, une part de sagesse. C’est vrai, on parle beaucoup de résilience. Ça les aide. Ils arrivent à vivre des épreuves terribles et à s’en sortir avec dignité. Malgré les épreuves, ils gardent confiance en ce qui peut arriver et laissent derrière eux ce qui s’est passé. Je me rend souvent à l’association « Maison Rose ». C’est comme ça que j’ai eu l’idée d’écrire ce roman. Là-bas, j’ai rencontré plein des petites Aya, aux vies et aux chemins très difficiles. Quand on les rencontre, on n’imagine jamais qu’elles ont traversé toutes ces épreuves. Elles ont plus de force et de vitalité que beaucoup d’autres.
S.H : Vous êtes amoureuse de l’Afrique. À la lecture du roman, je me demande si, dans nos sociétés occidentales, on n’a pas perdu quelque chose. Quand on voit la façon dont ces personnages arrivent à aller contre les misères que le destin met sur leur chemin, ils luttent ! Alors que nous, on a l’impression de lutter pour rien. C’est étrange, non ?
M-V.D : Je pense qu’ils ont une vraie philosophie de vie. Je suis toujours sidérée quand je parle avec eux. Je vais souvent sur l’île de Gorée, près de Dakar. C’est là où j’habite quand je vais à la « Maison Rose ».
S.H : Petite parenthèse, pour ceux qui n’ont pas encore lu le livre, la « Maison Rose » c’est ?
M-V.D : La « Maison Rose » est une association située à Guédiawaye, une des banlieues les plus pauvres du Sénégal. Elle a été créée par deux françaises, Mona Chasserio et Danielle Hueges, afin d’accueillir les jeunes-filles violées. Les filles ont entre 8 et 20 ans et arrivent souvent enceintes. L’association les aide à leur faire accepter et aimer ce bébé, grâce à une thérapie mélangeant le yoga, le cirque et la danse. Cela permet à ces jeunes femmes de parler, d’ouvrir leur cœur et d’accepter leur corps. De cette manière, on les voit reprendre vie et avancer. En fait, c’est très gai, la « Maison Rose » ! Lorsqu’on y entre, c’est un peu comme le cœur d’une femme, et ce n’est pas seulement à cause du nom « Maison Rose ».
S.H : Vous y aller souvent ?
M-V.D : Je vais chez une amie, sur l’île de Gorée. Mais, à 21 ans, je suis partie au Sénégal et j’y ai vécu pendant deux ans. J’y ai d’ailleurs eu ma première fille. C’est vraiment un pays où je me sens extrêmement bien.
S.H : Qu’est-ce qu’on pourrait ramener de là-bas ?
M-V.D : Déjà, la musique, les tamtams qui sont toujours quelque part. Il y a aussi une odeur extraordinaire quand on arrive là-bas. Et puis, le sourire ! C’est physique ! Moi, j’aime physiquement les gens que je rencontre là-bas. Ils vous regardent, ils vous parlent, ils s’intéressent à vous. Et, surtout, ils ont beaucoup d’humour. Tout ce qui leur arrive, même les drames, ça passera, c’est comme ça !
S.H : Ça nous manque, ce « c’est comme ça »?
M-V.D : Oui ! On en a besoin. Quand on rentre en France, on ne se rend pas compte de notre qualité de vie. On est tellement gâtés !
S.H : Pourquoi on ne s’en rend pas compte ?
M-V.D : Je pense que nous sommes un peu comme des enfants gâtés. On veut toujours plus. Là-bas, c’est vrai qu’ils n’ont rien, mais ils ont beaucoup plus que nous. Ils ont le sourire. Aussi, ils vivent avec la nature, ce que nous, nous avons perdu. Par exemple, ils regardent la mer pendant des heures, ils vont pêcher et ça leur suffit. Ils ont des souffrances terribles, mais ils les acceptent.
S.H : Dans le livre, il y a cette française, Camille, qui arrive en disant : « Tiens, vous n’avez pas ça ! Et ça va ? ». Quelqu’un lui répond : « Vous, vous avez tout, mais vous êtes malheureux. Je ne comprends pas. » Selon vous, qu’est-ce qui fait que nous, nous avons perdu cette philosophie de vie ? Comment la ressusciter ?
M-V.D : C’est une petite vendeuse sur la plage, une copine. Absolument, je pense que ces pays ont moins, mais ils ont gardé une culture très forte. Ils sont plus dans la vérité que nous. Nous, nous avons perdu beaucoup de tout ça.
S.H : Ces villes que vous décrivez, comme Dakar, une des villes les plus polluées, n’ont-elles pas subi l’importation d’un modèle occidental qui ne leur convient pas forcément ?
M-V.D : Oui, absolument. Dakar, les voitures… C’est terrible ! Et personne ne fait forcément attention. Aujourd’hui, il y a un début de prise de conscience écologique. Il est temps, car l’océan est dans un piteux état. Mais contrairement à chez nous, c’est qu’on respire. Et si ce n’est pas grâce à l’air, on respire une joie de vivre qui est restée intacte. Enfin, c’est mon sentiment.
S.H : Quelle est la leçon qu’Aya peut nous apprendre ?
M-V.D : Pour moi, c’est regarder devant et se dire que s’il y a des choses qui arrivent, ça veut dire qu’il y en a d’autres qui vont en découler, peut-être mieux. C’est ce que j’ai essayé d’apprendre à mes enfants. Il y a toujours des choses, dans la vie, qui arrivent et qui bloquent. Mais c’est la façon de les prendre qui fait que les portes vont s’ouvrir. Et puis, il faut laisser les choses qui sont derrière et essayer de pardonner. Je pense que le pardon c’est important pour être en paix.
S.H : À un moment, Aya fait quelque chose où je me suis dit : « Ça fait un moment que je n’ai pas réussi à être aussi courageuse ! » Je pense que nous allons être nombreux à nous le dire, mais je laisse le suspens… Aya a-t-elle vraiment 12 ans ?
M-V.D : Ah oui ! Et j’en ai connu de 10 ou 11 ans. Il faut dire qu’elle apprend à être une femme très jeune car, déjà, elle doit être la mère de sa mère. Tout ce qu’elle traverse, toutes ces épreuves la font mûrir. Donc, elle est une « grande petite fille ». Comme on est très nombreuses à l’être d’ailleurs. Moi, c’est ce que j’ai l’impression d’être. Encore.
S.H : Elle est courageuse certes, mais pour elle, c’est au-delà de ça, non ?
M-V.D : Elle a une vraie force de vie. Elle veut résister. C’est une résistante. Elle veut être elle-même et essayer d’avoir sa part de vie, sa part de bonheur. Du coup, ça veut dire qu’elle abandonne beaucoup de choses. Elle laisse aussi derrière elle ses failles et ses blessures.
S.H : Nous, on a peur de renoncer car on est beaucoup dans l’avoir pour être. Donc, on prend, on accumule, on a peur de renoncer et on garde tout, y compris nos failles et nos blessures. Là, ce que vous êtes en train de nous dire, c’est qu’elle grandit car, justement, elle n’a pas peur de laisser derrière elle.
M-V.D : Absolument. En réalité, j’ai rencontré, à la « Maison Rose », Sophie, la jeune fille qui m’a inspiré Aya. Elle avait une mère, devenue folle, qui la donnait en pâture à tous les voisins. Elle est arrivée enceinte à l’association. Aujourd’hui, elle va bien, elle a son enfant et est passionnée par le cirque. « Maintenant, ça, c’est derrière moi. J’ai trouvé un autre foyer. Ce que je veux aujourd’hui c’est sauver maman. » C’est ce qu’elle dit et je trouve ça très beau. Elle a pardonné à sa mère. Je pense que c’est ce qu’il faut qu’on fasse. De toute façon, il faut pardonner à ses parents.
S.H : Le fait de pardonner nous fait grandir, c’est ça ?
M-V.D : Oui, enfin, j’ai l’impression.
S.H : Merci Marie-Virginie Dru pour cette belle leçon de vie.
Propos recueillis par Salma Haouach
Retrouvez ci-dessous le podcast de cette rencontre dans son intégralité :
Résumé :
Aya est une petite fille de 12 ans qui rêve d’épouser son petit amoureux, Ousmane. Comme des enfants, il se promènent sur le sable de Karabane, au Sénégal. Ils y croisent Moussa, revenu de la pêche. Aya n’abandonne rien malgré ce lourd secret qui va la faire grandir plus vite. Elle va être contrainte de fuir sa belle île. Mais rien ne la fera abandonner. Aya, est une histoire de résilience écrite par une inconditionnelle amoureuse de l’Afrique, Marie-Virginie Dru.
« Aya » paru aux Éditions Albin Michel