
Salma Haouach
« La colère est comme une avalanche qui se brise sur ce qu’elle brise » a dit Sénèque.
Depuis le début de ce confinement, je suis inquiète. Inquiète pour les familles confinées au sein où l’harmonie n’a pas pu faire son lit. Inquiète pour la vie des quartiers les plus défavorisées ou les conditions de vie ne ressemblent en rien au long fleuve tranquille qu’on peut apercevoir ça et là, sur les réseaux sociaux des plus avantagés. Ce confinement sera comme un miroir grossissant du pire comme du meilleur, un catalyseur de tous les paradoxes de notre nature humaine et par ricochet, notre société. On pourrait étendre le débat à savoir si notre société représente réellement la nature humaine, mais je ne suis pas Rousseau. Je vais me contenter d’exprimer mon inquiétude. Être confiné ne signifie pas la même chose partout. Être confiné à Uccle ou Woluwe et confiné à Anderlecht ou Molenbeek ne veut pas dire la même chose. Vivre reclus avec ses proches ne propose pas les mêmes options que lorsqu’on est forcé de vivre seul, plus précisement, isolé – car la solitude est parfois choisie, parfois subie.
« Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde », disait Camus.
Pour info : Uccle, densité de la population, 3667 habitants/km2. Anderlecht, 6822. Molenbeek, 16 470. Ce sont des maths et les maths ne trompent jamais. Lorsqu’on me dit que les règles sont les mêmes pour tout le monde, je suis toujours partagée. Dans ce monde qui se décrit comme ultra rationnel, nous défions les lois élémentaires de la logique. Ne dit-on pas « toutes choses étant égales par ailleurs » ? Alors, je suis inquiète. Inquiète pour les conséquences de cette géométrie variable qui se vit à travers les conditions de l’habitat, de vie, d’enseignement, de travail. Le traumatisme lié à cet enfermement forcé et anxiogène est réel et il ne connaît ni logique ni équité. Inquiète car certains n’ont pas assez à perdre et d’autres trop à perdre. Parce qu’il est plus facile pour certains de faire l’école à la maison que d’autres. Parce que la solitude des uns n’est pas la solitude des autres. Parce que l’habitat des uns n’est pas l’égal des autres.On ne peut faire autrement que de se plier aux règles générales, mais nous ne pouvons faire comme s’il n’existait pas des conditions particulières et qu’elles sont profondément inégales. Ayons au moins la décence de les assumer ! « Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde », disait Camus.

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Biais d’éloignement, tellement prévisible.
Une addition d’inégalités qui peuvent nous sauter à tous à la figure comme un élastique sur lequel on a trop tiré. Ne nous mentons pas à nous-mêmes. Une partie de la population suit sagement les instructions, de façon quasi scolaire et religieuse, l’autre les suit avec une conscience aiguë, en sachant à quoi elle renonce, une autre le suit sans conviction et ne cherche qu’une occasion pour se rebeller. Et ne me parlez pas du danger collectif, nous savons tous que notre cerveau nous joue des tours et que tout n’est que perception. Il n’y a pas si longtemps que cela, nous voyions l’épidémie comme une lointaine grippe qui ne nous toucherait pas. Biais d’éloignement, tellement prévisible. Alors oui, la mort tragique de ce jeune Adil porte sur elle tout le poids d’une incompréhensible attitude. L’étincelle de vie qui s’éteint et qui pourrait embraser toute un quartier, une ville, un pays. Car un peu partout, il y’a des jeunes et des familles démunies et angoissées que le confinement étreint dans leurs coeurs et leurs esprits et pour lesquelles la fuite semble une option, même mortelle.
Retrouvons la vraie valeur des nos vies et de nos relations.
Chers concitoyens, ne sous-estimez pas l’impact psychologique et sociologique de ce confinement. Je vois trop de jugements inquisiteurs passer, des injonctions de comportements qui sont édictées par la peur – précisément pour ceux qui estiment avoir mieux compris les règles que d’autres. Parce que le pire dans cette crise, ce sont les certitudes. Nous ne savons rien et même ce que nous savons, nous devons le nuancer. Ce sont des temps de nuance, d’empathie, pas de vérités absolues. Oubliez les messies, les complotistes, les inquisiteurs et connectons-nous à votre force intérieure, c’est la seule qui peut quelque chose pour nous. Retrouvons la vraie valeur des nos vies et de nos relations. C’est ce qu’on appelle accueillir le moment présent, accepter le destin en ayant foi en l’avenir. Je ne vois pas d’autre solution, même si je prends le risque l’air un Teletubbies kidnappé par Buddha en parlant ainsi. J’assume ! Parce que la colère lorsqu’elle explose, elle, peut tout détruire avec sa coulée de lave meurtrière. Y compris nous-mêmes. Nous avons été livrés avec le meilleur comme le pire, à nous de voir quelle partie de notre humanité nous voulons faire grandir.
Je passe mon temps à évaluer les chiffres mais tout d’un coup, ceux-ci perdent de leur sens lorsqu’ils sont déconnectés de la perception. Les chiffres des morts, les chiffres du commerce mondial, les chiffres de la dette, les courbes statistiques s’effacent derrière l’angoisse d’une population. C’est extrêmement paradoxal : nous vivons à la fois un stress collectif et nous n’avons jamais autant livrés à nous-mêmes. Nous avons besoin les uns des autres, pas les uns contre les autres.
Amen.