On ne présente plus Katherine Pancol, l’auteure à succès et collectionneuse de best-seller. Nous l’avons reçue pour son dernier ouvrage, « Bed Bug », paru aux éditions Albin Michel. À travers cette nouvelle histoire, Katherine Pancol se met dans la tête de Rose, une jeune chercheuse en biologie qui semble ne se sentir bien que dans son laboratoire. Si elle maîtrise comme personne l’alchimie sexuelle des insectes qu’elle étudie, elle se sent désemparée lorsqu’elle tombe amoureuse de son collègue américain Léo. « Je voulais raconter ce qui se passe dans le cerveau d’une femme qui est dans le désir sexuel. Qu’est-ce qui se passe ? »

@Sylvie Lancrenon

Des propos recueillis par Salma Haouach.

Salma Haouach : Nous sommes ici pour parler de « Bed bug », votre dernier roman qui m’a fort surprise. D’abord, j’ai appris plein de choses d’un point de vue scientifique mais ce que j’ai trouvé le plus interpellant, c’est cette exploitation du désir féminin hors des sentiers battus. Est-ce que c’était ça ?

Katherine Pancol : C’est exactement ça. Je voulais entrer dans la tête d’une fille de 29 ans, Rose. Je voulais raconter ce qui se passe dans le cerveau d’une femme qui est dans le désir sexuel. Qu’est-ce qui se passe ? Les réactions presque chimiques, émotionnelles, charnelles… Comment, quand on fait cette espèce d’auscultation interne, on peut presque raconter l’histoire de la personne. Justement, parce que nos émotions dépendent de ce que nous avons vécu avant. On aime comme on a grandi. On aime avec tout le bagage émotionnel qu’on porte depuis qu’on est enfant.

S.H : Vous avez fait une thèse pour écrire cela ? C’est hallucinant ce qu’on a comme détails et comme informations sur les insectes. C’est plus ça qui m’a frappé que l’exploitation du désir. C’est cette espèce de confrontation à la réalité, à la nature des choses qui n’est pas du tout celle que l’on peut imaginer.

K.P : Oui, parce que Rose est une fille très disciplinée quand elle travaille.

S.H : Il faut préciser qu’elle est biologiste. Elle fait de la recherche.

K.P : Exactement. Elle travaille sur les insectes médicaments. On ne le sait pas parce que ça ne se traduit pas encore dans notre vie quotidienne mais on est en train de mettre au point des médicaments, des produits de beauté, des revêtements de murs, en partant des insectes. Elle travaille, elle, sur une petite luciole alsacienne qui va permettre de guérir du cancer sans souffrir. Le jour où elle découvre cette molécule, elle est très heureuse. Elle y a travaillé durant des années et elle a été rejointe par un collègue américain, Léo qui vient mettre le point final à sa molécule. Ils vont fêter ça dans un restaurant. Là, une copine de Rose passe et lui dit en passant : « Il est vraiment bien ce mec ! Si tu ne te le fais pas ce soir, moi je le prends ! » Là, c’est la fameuse cristallisation de Stendhal. Tout d’un coup, son attention se cristallise sur ce garçon qu’elle n’avait pas vu pendant six mois. Elle tombe amoureuse. Pour essayer de comprendre comment elle tombe amoureuse et comment marche le désir, plutôt que d’aller se référer à des témoignages humains, elle va prendre des témoignages d’insectes. Elle va tenter de comprendre le coïte des humains par rapport au coïte des insectes. Elle vit la vie sexuelle des insectes pour pouvoir vivre la sienne. Et c’est très cruel !

S.H : On aime bien dire que dans la nature, le mâle domine la femelle, ils copulent pour copuler et puis c’est tout. Mais ce livre nous explique exactement le contraire. Il y a des formes de violences, de dominations, dans un sens comme dans l’autre. Quand vous parlez de la cristallisation de Stendhal, cela veut-il dire que le psychique a horreur du vide ? Est-ce qu’elle l’aime vraiment ? A-t-elle vraiment du désir pour lui ?

K.P : C’est une des histoires. Vous savez que j’aime raconter plusieurs histoires. Ce qu’on va apprendre à travers le cerveau de Rose, c’est qu’elle a été un peu secouée enfant, maltraitée, malmenée. Sa méfiance envers le genre humain provient de son enfance. Elle a donc du mal à se laisser aller et à faire confiance. De temps en temps, elle est un peu parano. Tout ça se traduit dans ses rapports avec les hommes.

@Sylvie Lancrenon

S.H : Les insectes la rassurent ?

K.P : Elle connaît les insectes. Ils sont prévisibles.

S.H : Que peut-on retenir de l’observation de la vie sexuelle des insectes par rapport à nous ?

K.P : La vie sexuelle des insectes est assez drôle. Finalement, il y a un côté qui ressemble à la vie sexuelle des humains. Par exemple, moi j’avais une grand-mère qui était toujours dans la cuisine. Évidemment, elle n’avait pas de diplôme. À la maison, on aurait pu penser qu’elle était la dernière roue du carrosse. Elle ne servait à rien. Or, c’est elle qui avait la main sur toute la maison. C’est elle qui finissait par l’emporter parce qu’elle, elle était au courant du terrain, des enfants, de l’argent qui entre, qui sort. Il y avait d’abord mon grand-père et puis, il y a avait ma grand-mère. In fine, je me suis rendu compte que ma grand-mère avait quand même un certain pouvoir. Eh bien, chez les insectes, c’est comme ça. La femelle joue le jeu pour ne pas contrarier le mâle. Elle laisse au mâle les attributions du mâle. Et, le mâle en profite . C’est-à-dire qu’il arrive toujours un peu en se pavanant. Et vas-y qu’il lui fout des tartes … Mais, in fine, c’est toujours la femelle qui l’emporte. Pourquoi elle attire le mâle ? Parce qu’elle a besoin des spermatozoïdes, des gênes et souvent, des antidotes qui vont lui permettre de survivre dans le milieu où elle vit. Une fois qu’elle a eu ce dont elle avait besoin, elle le bouffe, l’émascule, l’égorge, l’étouffe, l’aspire ou l’éjecte. Le mâle ne sert donc à la femelle que le temps dont elle en a besoin. Si elle a besoin d’un ou deux coïtes , elle va se laisser faire une ou deux fois. Mais, une fois qu’elle est remplie et satisfaite, elle le jette. Finalement, c’est encore bien plus cruel que chez les humains. Rose n’a pas eu un exemple encourageant de la part de ses parents pour former un couple. Elle comprend alors la nature humaine en étudiant les insectes. Et puis, on se dit que les hommes ont fait des progrès par rapport aux insectes (rires).

S.H : Qu’avons-nous gardé de tout ça ?

K.P : Rose vit avec sa mère et sa grand-mère car les appartements sont très chers à Paris. C’est donc un gynécée. À travers ces trois femmes, j’ai étudié l’histoire du désir chez la grand-mère, du couple chez la mère et chez Rose, la petite-fille. Chez la grand-mère, on a le schéma classique de l’abnégation. Elle a travaillé pour la boutique de son mari, elle est commerçante non-déclarée. Elle n’a donc pas de retraite. Elle n’a rien du tout. Quand son mari meurt, elle est à la rue. Elle est trop âgée pour prendre un appartement, car on ne loue plus aux personnes âgées puisque si elles ne payent pas leur loué, on ne peut pas les éjecter. Valérie, la mère de Rose, elle, est quelqu’un qui a compris qu’elle ne devait pas être une victime comme sa mère. Mais elle a encore terriblement besoin d’un homme. Elle est très seule malgré sa réussite professionnelle. Elle a une des plus grosse agence artistique de Paris mais elle ne connaît pas l’amour. Elle ne sait pas ce que c’est que l’amour.

S.H : J’ai l’impression que Valérie, n’a pas tellement mieux réussi que sa mère.

K.P : Oui, car elle garde cette image, qui lui vient de sa mère, de l’homme qui pourvoit au besoin. Ce qui est intéressant dans les générations de femmes, c’est de voir qu’il reste toujours des anciens clichés, comme le prince charmant. Rose rêve aussi de ce prince charmant. Elle a envie de tomber amoureuse, d’aimer un homme qui la protégera, avec qui elle partagera tout et qui sera un bon papa. Et on a envie de dire qu’il n’existe pas. Mais elle le cherche. J’ai fais une enquête pour savoir ce qu’il y avait dans la tête des filles entre 25 et 35 ans. Elles ont quand même toutes dans la tête le cliché de l’homme parfait. Elle l’attendent. Elles se disent qu’il va arrivé.

S.H : On attend donc l’homme idéal par rapport à la représentation qu’on voudrait avoir de soi, mais pas par rapport à ce qu’il est ou ce que je suis. C’est une question de représentation. Vous dites que les insectes sont prévisibles. Donc, cela voudrait dire qu’on aimerait avoir des rôles à porter ? Aujourd’hui, ce qui est compliqué c’est cette confusion des rôles ?

K.P : On est totalement contradictoire. On veut avoir des rôles. On veut avoir le sapin de Noël, les enfants au pied du sapin, les cadeaux qu’on ouvre, les cantiques de Noël etc. On veut ça. Et, en même temps, si on a ça, on s’ennuie terriblement et on veut le bad boy et la défonce en boîte. C’est trop. C’est pour ça qu’on ne sait même plus ce qu’on veut à la fin.

S.H : Donc, on veut des rôles sans vraiment les vouloir. Dans la nature, c’est prévisible, il n’y a pas vraiment de remise en question. Ici, il y a tout le temps la conscience de la conscience, la représentation de la représentation… C’est fatiguant. Rose surinterprète tout ?

K.P : Elle dit d’ailleurs « Je ne comprends rien à moi-même ! »

S.H : Est-ce grave si on ne comprend rien ?

K.P : Non. J’avais de très bonnes relations avec ma grand-mère. C’est vrai que je me posais un milliard de questions quand elle ne s’en posait pas. Aujourd’hui, les femmes ont une grande liberté. On peut tout faire. Je suis sidérée, quand je vais dans des entreprises, de voir qu’il y a 90 % de femmes. Il y a un homme entouré de femmes. C’est de plus en plus fréquent. Maintenant, les femmes ont un grand pouvoir et je pense qu’il faut un temps d’adaptation pour que ce grand pouvoir se traduise à l’intérieur de leur cœur.

S.H : Le message finale du livre, c’est ?

K.P : Je crois que le message final c’est que c’est compliqué. On fait ce qu’on peut, comme on peut. Je pense que dans la vie, il faut trouver le truc qui cloche en soi et essayer de le réparer plus ou moins bien car on ne le répare pas toujours complètement. Quand on a compris ce qui nous a marqué, heurté, blessé, on peut essayer de vivre avec en bonne intelligence. De toutes façon, il faut arriver à s’accepter et à s’aimer.

S.H : Résilience, amour et bienveillance. On termine là-dessus.

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