21 secondes.

Salma Haouach
« Que pensez-vous de la politique de Donald Trump ? » cette question, posée par un journaliste à Justin Trudeau, aurait pu être d’une banalité effarante. Pourtant, sa réponse a fait opérer une sorte de magie. Justin Trudeau, au lieu de se lancer dans une sanglante répartie comme nos médias les affectionnent, a gardé le silence pendant 21 longues secondes.
Ces 21 secondes qui furent une révélation. On a donc le droit de garder le silence… « Nous vivons avec un coeur trop plein dans un monde trop vide » disait Chateaubriand. Ce vide qui semble parfois plus proche de la cacophonie que du véritable néant… Pourtant, regardons de près ce silence. Il était plein. C’est un peu contre-intuitif, certes. Son visage a reflété des pensées et émotions se livrant une bataille sans merci. À ce moment précis, les mots semblent bien trop faibles pour pouvoir exprimer l’étendue de sa pensée. Assumer cette communication démontre un ancrage profond, une capacité à s’affranchir de la pression extérieure car le silence coûte cher, pourtant il est parfois plus précieux que la parole. Cela me rappelle l’histoire du zéro. Ce rien que nos cultures occidentales productivistes n’arrivaient pas à concevoir (si c’est zéro, ça sert à rien, si ça sert à rien, pourquoi le concevoir?). Ce zéro, mis au point par les Indiens, qui philosophiquement acceptaient l’idée du vide, et amené par les Arabes a pourtant révolutionné les mathématiques. Les chiffres peuvent avoir ainsi une existence autonome et surtout, qu’obtenez-vous lorsque vous multipliez un chiffre par zéro? L’infini. C’est cet infini que nous a offert Justin Trudeau.
Le silence a créé le buzz
Se pose alors une question, nous qui adorons mesurer ce que les actions rapportent. Quelle est la valeur de ces 21 secondes? Voyez-vous un moyen quelconque de mesurer leur impact ? Vous me direz, si l’on prend les KPI’s (le mot magique) classiques, on s’y retrouve un peu. Le silence a créé le buzz, le reach et l’engagement furent importants, la couverture presse phénoménale puisque tout le monde a eu envie de voir à quoi ressemblait ce curieux moment. Défrayer la chronique, ça rapporte ! Mais ce qu’on en retient, c’est le résultat, pas le moyen. Sans vouloir offenser leur contenu, mais un lolcat ou une danse TikTok peuvent potentiellement avoir les mêmes performances. On appelle ça le biais de substitution : comme la mesure est plus concrète, on finit par remplacer la stratégie par la mesure de celle-ci. Feu certaines banques avaient des excellents KPI’s aussi, juste avant la crise de 2008…
On en revient à notre énoncé : comment mesurer la force de cet ancrage, la plénitude de ces 21 secondes ?
Nous supposons qu’il y’ait forcément un impact de quantité. Or, comprendre la valeur de cette réponse, revient à modéliser la qualité. C’est bien plus délicat, mais cela en vaut la peine.
Car on en veut d’autres, des silences d’or comme ceux-là. Qu’on puisse s’entendre penser.