L’être humain est un incorrigible vantard déguisé en un révolutionnaire caviar.

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Il aime dire qu’il a changé. Ça fait bien, de dire ça. Une fausse promesse aux allures de rédemption. Mais je le sais, au plus on le dit, au moins il y’a de chances que ce soit vrai. C’est comme le mot « customer centric » dans les présentations des grandes entreprises. Ce n’est pas dans l’essence de chaque entreprise, de s’occuper de son client d’abord ? Alors si vous l’écrivez, c’est que vous devez relire Sartre. Cela signifie que vous ne savez pas à quoi vous servez et ça, c’est ballot parce que c’est précisément ce qui fait de vous un sujet au lieu d’être un objet.
Il n’y a pas de new normal !
Parce qu’on a remplacé les apéros live par des dîner zoom? Parce qu’on assiste à des webinars, des Facebook live sur « comment transformer le monde de demain » ou « comment vivre en mode paléo en 10 jours »? Tout ceci pour préparer le « new normal » mais il y’a pas de new normal : c’est tout simplement une oxymore qui démontre une fois de plus une criante incapacité à faire preuve de discernement et d’humilité.
« Nous vivons avec un cœur plein dans un monde trop vide » – Chateaubriand

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Je vais vous dire une chose, si nous avions vraiment compris, nous ne passerions pas nos journées en vidéo conférence. Nous n’avons fait que remplacer le vide par le vide et fait des transferts sans se demander s’il fallait à un moment ou à un autre déplacer le curseur. « nous vivons avec un cœur plein dans un monde trop vide » disait Chateaubriand. Ce grand romantique nous aurait rappelé que l’émergence de l’individu ne vaut que pour mieux penser le monde, non pour l’exploiter. « on dirait que l’ancien monde fait et que le nouveau commence. Je vois les reflets d’une aurore dont jeune verrais pas le coucher du soleil » ajoute-t-il. Si seulement,…
Dites-leur que vous savez ce qu’ils ressentent !
Si nous avions réellement enclenché le changement, nous transformerions ce temps en temps long, utile, ce que Bergson appelle la durée et le temps existentiel. Nous en profiterions pour nous demander, en tant qu’entreprise, marque, citoyen, comment nous pourrions devenir le changement que nous souhaitons dans ce monde. Je suis atterrée par l’autosatisfaction de certains JT qui pointent du doigt, avec un manque d’humilité indécent, les « belles initiatives de solidarité ». C’est comme le participe passé : la règle et les 18 pages d’exception. Pourtant, la seule règle devrait être la solidarité, non? Je ne dis pas ça parce que j’ai muté en Ghandi durant mon sommeil, non. Je dis ça parce que notre survie, en tant que Sapiens, dépend du groupe et l’intelligence collective. Lorsque je vois ces marques qui cessent d’annoncer parce qu’elles n’ont pas les ressources pour innover ou pire, prendre des risques (ce qui revient au même) et mettent tout le système des médias en péril, je crie au scandale. L’archétype de la pensée en silo et de la déconnexion de tout un pan de notre système économique. Soyez proches de vos clients ! Dites-leur que vous savez ce qu’ils ressentent ! Ne vous terrez pas dans vos maisons, derrière votre écran à vous demander comment éteindre l’incendie mais participez au débat collectif ! On a jamais eu autant besoin les uns des autres. On dirait des éléphants qui doivent faire le tour d’eux-mêmes avant de voir ce qui se passe…est-ce pour cela que nous avons atteint ce niveau de PIB, pour ne penser qu’à soi et surtout, à court terme ?
Comment peut-on prétendre être soi alors qu’on s’évertue à nourrir le syndrome de Stockholm social ?
J’ai l’impression de vivre dans une société où tout se passe dans le cortex, le mental, l’égo mais peu de choses pour nourrir notre intériorité – s’aimer soi, et non la représentation qu’on se fait de nous-mêmes. Tous ces cocktails, dîners, réunions auxquelles je prends part, une victime consciente du système ne servent qu’à nourrir cette image que je voudrais donner de moi-même au monde. Mais elle n’est pas moi. Alors comment peut-on prétendre être soi alors qu’on s’évertue à nourrir le syndrome de Stockholm social? Prisonniers et amoureux de notre cage socio-professionnelle. Dans ces temps confinés, les barrières tombent et l’image se ternit. Les limites de l’apparât économique sont juste devant nous.

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Je pourrais nous appeler « la génération papier-toilette » (parce que j’aimerais rester polie). Cette génération qui a servi de cobaye géant à la société de consommation. La société de consommation, pour rappel, c’est celle qui a été créée après-guerre : la demande en produits alimentaires étant inélastique, vendre davantage de produits alimentaires impliquait de nourrir le désir car nos besoins de base sont totalement comblés. Cette génération n’a donc connu aucune guerre, aucune famine, aucun manque, elle est même, si je puis dire, déconnectée de ses besoins de base. Lorsqu’on dit « j’ai besoin de… » dans notre langage, en réalité, nous devrions dire « j’ai envie de… ». Parce qu’en réalité, on a pas vraiment besoin de sauce samouraï sur ses frites ni d’un écran plat ou d’un voyage aux Maldives en hiver.
Génération papier toilette
Cette génération papier-toilette a donc, clairement défini son mode de consommation sur un modèle individualiste et ultra-libéral. Jusque là, si l’on en a les moyens, il y’a aucun problème. J’y vois deux conséquences, deux collatéraux cachés : 1. si avoir les moyens se limite à l’état du compte en banque à l’instant T, on pense en silo. Tout seul, soi pour soi. Parce que les moyens auxquels ont devrait penser sont ceux de l’Habitat général, les comptes que nous devrions consulter sont ceux que tient notre planète et son environnement. Quand une société vit à découvert énergétique la moitié de l’année, vous savez ce qu’on dit : soit changer de boulot, soit changer de banquier, soit dépenser moins. C’est tout de même aberrant qu’un principe financier de base ne régisse pas davantage le fonctionnement économique de notre monde.
Se libérer du « je veux » ou « j’ai envie »
La deuxième conséquence est d’ordre social : nous avons modélisé nos relations dans le moule de l’individualisme et de la consommation. Ce sont des unités de production de notre surmoi. Selon Schopenhauer, « tant que nous sommes sujets du vouloir, il n’y a pour nous ni bonheur durable, ni repos ». La satisfaction d’un désir entraîne immédiatement la frustration d’une dizaine d’autres car nous sommes constamment tiraillés entre plusieurs envies. C’est le propre de l’homme et la liberté consiste donc en la libération de son désir permanent. Se libérer du « je veux » ou « j’ai envie ». Seulement cela entraîne une frustration, et ça, nous n’aimons pas. Alors on consomme, on jette, et on recommence. Comme le papier-toilette, à l’infini. Et l’on a fait ainsi des relations humaines. C’est ce qui fait que nos relations, comme les biens de consommation interchangeables et remplaçables. Nous avons remplacé la satisfaction de nos besoins vitaux par la satisfaction de notre projection. Je ne me contente pas d’être, non, c’est beaucoup trop confrontant; Je veux satisfaire ma représentation de moi-même dans le monde qui m’entoure. Mes relations sociales n’obéissent donc plus à la loi naturelle, systémique qui prime dans le règne animal depuis toujours mais à un autre paradigme : ce que je suis au yeux des autres.
L’homme et la fourmi
Je me suis intéressée au fonctionnement des fourmis, qui selon certains scientifiques, sont les plus représentatives de notre fonctionnement social au naturel. Lorsqu’une fourmi cherche de la nourriture, elle émet sur son chemin des phéromones qui mèneront le reste de la tribu à la nourriture. La fourmi n’a que cent mille neurones seulement par tête et pourtant a inspiré, par son réseau et son fonctionnement eusocial (proche de la perfection) les plus grands architectes internet. Cette espèce qui prospère depuis 120 millions d’années à une qualité intrinsèque : elle pense collectif.

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Alors quand on se rue sur les pâtes, la farine, qu’on râle pour ses vacances d’été à Mykonos, qu’on s’arrache les cheveux pour du Nutella en promo, je pense qu’on peut déduire que quelque cloche dans notre système de consommation et notre organisation sociale. Lorsque certains fraudent les règles, les contournent ou en profitent, ils mettent en péril leur propre existence. Qu’avons-nous loupé pour penser qu’on peut survivre en vivant uniquement pour soi? Nous avons tellement organisé notre chaîne de valeur sur nos désirs que nous ne sommes plus en mesure de distinguer le grain de l’ivraie. Nous avons tellement modélisé nos interactions que nous ne sommes plus en mesure de voir l’importance du systémique.
J’espère, de tout mon cœur, que cette crise sonne le glas du néo-libéralisme et que lorsque nous aurons éradiqué ce satané virus, nous pourrons aussi jeter l’individualisme socio-économique qui lui aussi, tue bien plus qu’on ne le pense – et ces chiffres là ne sont pas annoncés sur vos écrans.
Prenez-soin de vous…Et des autres
Salma Haouach.

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