L’être humain est un incorrigible vantard déguisé en un révolutionnaire caviar.

Image Jasmin Sessler de Pixabay

Il aime dire quil a changé. Ça fait bien, de dire ça. Une fausse promesse aux allures de rédemption. Mais je le sais, au plus on le dit, au moins il ya de chances que ce soit vrai. Cest comme le mot « customer centric » dans les présentations des grandes entreprises. Ce nest pas dans lessence de chaque entreprise, de soccuper de son client dabord ? Alors si vous l’écrivez, cest que vous devez relire Sartre. Cela signifie que vous ne savez pas à quoi vous servez et ça, cest ballot parce que cest précisément ce qui fait de vous un sujet au lieu d’être un objet.

 

Il n’y a pas de new normal !

Parce quon a remplacé les apéros live par des dîner zoom? Parce quon assiste à des webinars, des Facebook live sur « comment transformer le monde de demain » ou « comment vivre en mode paléo en 10 jours »? Tout ceci pour préparer le « new normal » mais il y’a pas de new normal : c’est tout simplement une oxymore qui démontre une fois de plus une criante incapacité à faire preuve de discernement et d’humilité.

« Nous vivons avec un cœur plein dans un monde trop vide » – Chateaubriand

Image Gerd Altmann de Pixabay

Je vais vous dire une chose, si nous avions vraiment compris, nous ne passerions pas nos journées en vidéo conférence. Nous navons fait que remplacer le vide par le vide et fait des transferts sans se demander sil fallait à un moment ou à un autre déplacer le curseur. « nous vivons avec un cœur plein dans un monde trop vide » disait Chateaubriand. Ce grand romantique nous aurait rappelé que l’émergence de l’individu ne vaut que pour mieux penser le monde, non pour l’exploiter. « on dirait que l’ancien monde fait et que le nouveau commence. Je vois les reflets d’une aurore dont jeune verrais pas le coucher du soleil » ajoute-t-il. Si seulement,…

Dites-leur que vous savez ce qu’ils ressentent !

Si nous avions réellement enclenché le changement, nous transformerions ce temps en temps long, utile, ce que Bergson appelle la durée et le temps existentiel. Nous en profiterions pour nous demander, en tant quentreprise, marque, citoyen, comment nous pourrions devenir le changement que nous souhaitons dans ce monde. Je suis atterrée par lautosatisfaction de certains JT qui pointent du doigt, avec un manque dhumilité indécent, les « belles initiatives de solidarité ». C’est comme le participe passé : la règle et les 18 pages dexception. Pourtant, la seule règle devrait être la solidarité, non? Je ne dis pas ça parce que j’ai muté en Ghandi durant mon sommeil, non. Je dis ça parce que notre survie, en tant que Sapiens, dépend du groupe et lintelligence collective. Lorsque je vois ces marques qui cessent dannoncer parce quelles nont pas les ressources pour innover ou pire, prendre des risques (ce qui revient au même) et mettent tout le système des médias en péril, je crie au scandale. Larchétype de la pensée en silo et de la déconnexion de tout un pan de notre système économique. Soyez proches de vos clients ! Dites-leur que vous savez ce quils ressentent ! Ne vous terrez pas dans vos maisons, derrière votre écran à vous demander comment éteindre lincendie mais participez au débat collectif ! On a jamais eu autant besoin les uns des autres. On dirait des éléphants qui doivent faire le tour deux-mêmes avant de voir ce qui se passeest-ce pour cela que nous avons atteint ce niveau de PIB, pour ne penser qu’à soi et surtout, à court terme ?

Comment peut-on prétendre être soi alors qu’on s’évertue à nourrir le syndrome de Stockholm social ?

J’ai limpression de vivre dans une société où tout se passe dans le cortex, le mental, l’égo mais peu de choses pour nourrir notre intériorité – s’aimer soi, et non la représentation quon se fait de nous-mêmes. Tous ces cocktails, dîners, réunions auxquelles je prends part, une victime consciente du système ne servent qu’à nourrir cette image que je voudrais donner de moi-même au monde. Mais elle nest pas moi. Alors comment peut-on prétendre être soi alors quon s’évertue à nourrir le syndrome de Stockholm social? Prisonniers et amoureux de notre cage socio-professionnelle. Dans ces temps confinés, les barrières tombent et l’image se ternit. Les limites de l’apparât économique sont juste devant nous.

Image Alexas Fotos de Pixabay

Je pourrais nous appeler « la génération papier-toilette » (parce que jaimerais rester polie). Cette génération qui a servi de cobaye géant à la société de consommation. La société de consommation, pour rappel, cest celle qui a été créée après-guerre : la demande en produits alimentaires étant inélastique, vendre davantage de produits alimentaires impliquait de nourrir le désir car nos besoins de base sont totalement comblés. Cette génération na donc connu aucune guerre, aucune famine, aucun manque, elle est même, si je puis dire, déconnectée de ses besoins de base. Lorsquon dit « j’ai besoin de… » dans notre langage, en réalité, nous devrions dire « j’ai envie de… ». Parce qu’en réalité, on a pas vraiment besoin de sauce samouraï sur ses frites ni d’un écran plat ou d’un voyage aux Maldives en hiver.

Génération papier toilette

Cette génération papier-toilette a donc, clairement défini son mode de consommation sur un modèle individualiste et ultra-libéral. Jusque là, si lon en a les moyens, il ya aucun problème. Jy vois deux conséquences, deux collatéraux cachés : 1. si avoir les moyens se limite à l’état du compte en banque à l’instant T, on pense en silo. Tout seul, soi pour soi. Parce que les moyens auxquels ont devrait penser sont ceux de l’Habitat général, les comptes que nous devrions consulter sont ceux que tient notre planète et son environnement. Quand une société vit à découvert énergétique la moitié de l’année, vous savez ce quon dit : soit changer de boulot, soit changer de banquier, soit dépenser moins. Cest tout de même aberrant quun principe financier de base ne régisse pas davantage le fonctionnement économique de notre monde.

Se libérer du « je veux » ou « j’ai envie »

La deuxième conséquence est dordre social : nous avons modélisé nos relations dans le moule de lindividualisme et de la consommation. Ce sont des unités de production de notre surmoi. Selon Schopenhauer, « tant que nous sommes sujets du vouloir, il ny a pour nous ni bonheur durable, ni repos ». La satisfaction dun désir entraîne immédiatement la frustration dune dizaine dautres car nous sommes constamment tiraillés entre plusieurs envies. Cest le propre de lhomme et la liberté consiste donc en la libération de son désir permanent. Se libérer du « je veux » ou « j’ai envie ». Seulement cela entraîne une frustration, et ça, nous naimons pas. Alors on consomme, on jette, et on recommence. Comme le papier-toilette, à l’infini. Et lon a fait ainsi des relations humaines. Cest ce qui fait que nos relations, comme les biens de consommation interchangeables et remplaçables. Nous avons remplacé la satisfaction de nos besoins vitaux par la satisfaction de notre projection. Je ne me contente pas d’être, non, cest beaucoup trop confrontant; Je veux satisfaire ma représentation de moi-même dans le monde qui mentoure. Mes relations sociales n’obéissent donc plus à la loi naturelle, systémique qui prime dans le règne animal depuis toujours mais à un autre paradigme : ce que je suis au yeux des autres.

L’homme et la fourmi

Je me suis intéressée au fonctionnement des fourmis, qui selon certains scientifiques, sont les plus représentatives de notre fonctionnement social au naturel. Lorsquune fourmi cherche de la nourriture, elle émet sur son chemin des phéromones qui mèneront le reste de la tribu à la nourriture. La fourmi na que cent mille neurones seulement par tête et pourtant a inspiré, par son réseau et son fonctionnement eusocial (proche de la perfection) les plus grands architectes internet. Cette espèce qui prospère depuis 120 millions d’années à une qualité intrinsèque : elle pense collectif.

Image monsterpong09 de Pixabay

Alors quand on se rue sur les pâtes, la farine, quon râle pour ses vacances d’été à Mykonos, quon sarrache les cheveux pour du Nutella en promo, je pense quon peut déduire que quelque cloche dans notre système de consommation et notre organisation sociale. Lorsque certains fraudent les règles, les contournent ou en profitent, ils mettent en péril leur propre existence. Quavons-nous loupé pour penser quon peut survivre en vivant uniquement pour soi? Nous avons tellement organisé notre chaîne de valeur sur nos désirs que nous ne sommes plus en mesure de distinguer le grain de livraie. Nous avons tellement modélisé nos interactions que nous ne sommes plus en mesure de voir limportance du systémique.

J’espère, de tout mon cœur, que cette crise sonne le glas du néo-libéralisme et que lorsque nous aurons éradiqué ce satané virus, nous pourrons aussi jeter lindividualisme socio-économique qui lui aussi, tue bien plus quon ne le pense – et ces chiffres là ne sont pas annoncés sur vos écrans.

Prenez-soin de vousEt des autres

Salma Haouach.

image Gerd Altmann de Pixabay

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