
Salma Haouach @LeLabMagazine
Hier, j’ai été dans une pépinière pour la première fois. J’ai dépensé (en tant qu’économiste, il est important d’aligner mes actes et mes paroles : l’épargne, c’est pas bien ! :-)). J’ai du beaucoup amuser le vendeur qui m’expliquait patiemment, dans un français charmant un poil néerlandophone, que non, on ne gardait pas les petites fleurs dans les petits pots et que non, je n’avais pas besoin de râteau pour replanter mes géraniums : les mains, c’est très bien ! Son épouse a d’ailleurs rajouté « c’est très bon pour le santé! ». Et c’est vrai. Dingue, je fais des trucs avec mes mains. I bet it is ! Je deviens dingue dans mon appartement. Mon quartier, c’est un peu de vert, un peu de ville, beaucoup de facilités, quelques magasins en vrac, des courses avec un petit chariot, bref, l’archétype de la bobo. Manque plus que les Birkenstocks et la boucle est bouclée (je résiste encore…). Pourtant, là tout de suite, je n’en peux plus de mon quartier. Je n’en peux plus de mon appart. Si ma grand-mère voyait ça, elle dirait probablement que j’habite dans une boite. Et c’est vrai. Alors, je me débrouille. Je cuisine, je fais ma manucure moi-même, j’ai appris à m’épiler (plus ou moins), je me teins les cheveux au henné et d’ailleurs, ils ont poussé comme jamais.
Parfois, l’image est là, parfois on coupe. Comme nous.
C’est précisément ce sujet qui m’amène au suivant : allumez votre télé, plus rien ne va. Les gens sont moins bien coiffés, les images ne ressemblent parfois à rien, entre un Skype à contre-jour, le chien de l’expert qui aboie en plein direct (encore une qui a cru qu’elle pouvait sauter l’heure de la promenade, non mais oh, confinement ne veut pas dire aliénation canine, hein !), les gens qui oublient qu’ils sont en direct et qui parlent au téléphone en même temps (je te laisse, je passe en direct maintenant – mais pépère, tu l’es déjà), les chats qui miaulent pendant le direct radio (true story), les enfants qui décident de s’arracher les cheveux (pitié, entretuez-vous en silence) pendant une assemblée générale sur zoom (idem),…bref, je peux continuer et tu peux continuer toi aussi à témoigner tes moments les plus cocasses en commentaire. Néanmoins, je vais te dire un truc : j’adore. Moi, j’aime bien cette rugosité. C’est authentique. Parce que c’est ce qu’on est. Pas lisses, pas réguliers, parfois chiants, parfois rigolos. Parfois, l’image est là, parfois on coupe. Comme nous. J’aime assez qu’on se montre sous un jour authentique et réaliste. Que pour certaines choses, nous soyons tous, finalement, logés à la même enseigne. Un jour, j’ai contacté un économiste de renom (que je ne citerais pas, c’est pas la peine d’essayer) et il m’a dit « attends, j’éteins l’aspirateur ». Je peux vous garantir sur la vie de mon chat que je n’arrive toujours pas à le visualiser. Ça l’a rendu proche et humain.
J’aime qu’on retrouve chez tous des préoccupations similaires.

Image Jade87 de Pixabay
Certes, il y a tout ce qui ne me plaît pas dans ce confinement : le fait que nous ne soyons plus vraiment dans un état de droit (pouvoirs spéciaux,etc.), l’inégalité qu’il engendre par quartiers, niveaux sociaux, état de sérénité de nos foyers, composition familiale, j’aime qu’on retrouve chez tous des préoccupations similaires. Avouer que notre prochain nous manque et qu’on en a ras le bol de passer sa vie derrière son ordi, qu’on s’est mis au bricolage et au jardinage sans trop savoir pourquoi, qu’on est finalement pas doué pour enseigner les maths à nos enfants où que même Netflix a ses limites (si si). On est tous plus ou moins mal coiffés, on est tous habillés en look loose pendant les réunions zoom (mais on masque avec un haut décent) et qu’on découvre tous des voisins qu’on ne connaissait pas. On se débrouille, on bricole et c’est ok.
Celui qui attend la perfection a forcément tort, celui qui agit à toujours raison.
Parce que le bricolage c’est pas mal quand on a rien à perdre. Quand, comme le Maroc, on mène une politique drastique, qu’on isole systématiquement tout cas porteur et qu’on place toute sa famille à l’hôtel. Quand on arrive à mobiliser toute l’industrie du textile pour produire 7 millions de masques par jour et les proposer à 80 centimes de dirhams dans toutes les épiceries. Le bricolage, c’est aussi celui de nos circuits courts, de notre solidarité, des gens qui se découvrent des métiers et des vocations, qui bien qu’imparfaites, on le mérite d’exister rapidement. La débrouille, c’est quand finalement on ne coupe plus toutes les compétences en silos mais qu’on prend à peu près tout ce qui vient, de façon naturelle et intuitive. Le même bricolage qui fait que dans certaines écoles, habituées aux petits moyens ont développé une agilité hors normes et ont pu s’adapter sans idéologie au nouveau paradigme. Pour les plus petits, les profs sont passés en direct auprès des élèves, des parents, additionnant zooms, whastapp, appels, exercices interactifs, bref, un système D qui a le mérite de maintenir le lien là où les plus grosses machines se sont rangées derrière l’inaction malheureuse et frustrante. Je pourrais aussi prendre l’exemple de mes tantes au Maroc, qui n’ont pas besoin de s’inscrire à des cours de chant pour purger leur trop plein émotifs. Elles le font en faisant le ménage, en dirigeant leur maison, en élevant leurs enfants. Il y a un côté vrai et tout en un à la fois qui déplace notre barycentre émotionnel et affectif. Ça remet de l’ordre et peu importe s’il n’est pas parfait. Il est, c’est tout. Celui qui attend la perfection a forcément tort, celui qui agit à toujours raison. Peu importe le résultat car ce sont les petits ruisseaux qui forment les grandes rivières.
C’est ça aussi, l’épreuve, celle qui nous rapproche de la débrouillardise. De notre humanité, finalement. Ça, j’aimerais bien que ça reste, en fait.
Si seulement,…