Une rencontre audacieuse de la fiction et de la réalité
On connaît tous Tintin, le reporter aventurier qui a exploré le monde au fil de ses aventures. Aujourd’hui encore, il incarne à lui seul l’aventure avec un grand A. Il n’en fallait pas plus pour que les journalistes de GEO, en partenariat avec les Éditions Prisma et les Éditions Moulinsart, collaborent pour transmettre ce goût de la découverte : « Tintin c’est l’aventure ». Dans ce nouveaux mook avant gardiste, vous découvrirez une centaine de pages d’enquêtes, de reportages, d’interviews, avec la bande-dessinée comme porte d’embarquement pour mieux comprendre notre monde et l’actualité. Un fabuleux mélange des genres avec comme guide Tintin, bien évidemment !
Le premier numéro de « Tintin c’est l’aventure » consacré à la conquête spatiale est sorti en juin 2019. Le second numéro quant à lui, met le cap sur les îles lointaines. Il est disponible depuis le 11 septembre 2019.
Salma Haouach a rencontré Frédéric Granier, journaliste et chef de service à GEO, ainsi que Didier Platteau, directeur éditorial des Éditions Moulinsart, et Daniel Couvreur, chef du service culture au journal Le Soir.
Tintin, un tremplin pour parler de sujets d’histoire ou de société. Une nouvelle forme de pédagogie?
Salma Haouach : Dans votre travail, y-a-t-il une réhabilitation de l’image ?
Frédéric Granier : La spécificité et l’ADN de Géo est de partir de belles images pour inviter au voyage. C’est ce que j’ai essayé de faire avec ce mook qui mêle nos deux identités : à la fois le sens de l’aventure et de la découverte de Géo, et puis le goût du reportage au cœur des histoires de Tintin. On a tenté de condenser ces deux aspects.
S.H : La rencontre entre la fiction et la réalité, ce n’est pas un peu dangereux comme exercice ?
F.G : C’est périlleux mais intéressant. Au départ, on se dit que Tintin incarne l’aventure, les horizons lointains, le renouveau. C’est encore un personnage ancré dans le 21ème siècle, même s’il n’a plus vécu de nouvelles aventures depuis 1977 et Les Picaros. En même temps, quel que soit le sujet traité aujourd’hui dans l’actualité, il y a un lien. Tintin peut nous servir de compagnon de route. Par exemple, aujourd’hui, Trump veut retourner sur la lune, lancer une sorte de nouvelle course à l’espace. Et bien, le premier c’était Tintin ! Il a marché sur la lune 20 ans avant Armstrong. Pour moi, Tintin n’est pas un produit des années 40 à 70. C’est un héros intemporel ! On se sert de Tintin comme tremplin. Un autre exemple avec l’Écosse et L’île noire. Il va nous accompagner à la découverte de cette Écosse surnaturelle et gothique qui, aujourd’hui, est mise en avant par le tourisme et les syndicats d’initiative écossais.
S.H : Finalement, c’est une nouvelle forme de pédagogie ?
F.G : Je ne sais pas mais, en tout cas, Tintin est un ami pour voyager. On est là pour apprendre, donc il y a un peu de pédagogie, mais on est surtout là pour découvrir et s’émerveiller. C’est ce que partagent Géo et Tintin, ce goût pour l’émerveillement et la découverte. Tintin incarne l’aventure, mais Géo c’est l’aventure au sens large, mêlée à la découverte. Géo c’est aussi des déclinaisons comme Géo Histoire, où on traite les grands faits historiques à travers le prisme de la photo. C’est Géo Aventure, qui montre ce qu’est l’aventure aujourd’hui pour séduire les baroudeurs. On tente d’injecter un peu de cet esprit dans cette revue et on arrive à cette sorte d’ovni.
L’un des premiers à avoir brisé cette frontière entre la haute culture et la pop culture, c’est Hergé !
S.H : On aime les ovnis actuellement ?
F.G : À mon sens, cela n’a jamais été réalisé et ça correspond bien à l’actualité.
S.H : Est-ce qu’il y avait une sorte de puritanisme qui imposait le traitement de sujets sérieux de façon sérieuse, puis ceux plus rigolos pouvant être traités en image ? Aujourd’hui, ces barrières sont-elles tombées ?
F.G : Je pense que l’un des premiers à avoir brisé cette frontière entre la haute culture et la pop culture, c’est Hergé. Il a réussi à transformer un médium, la BD, qui était déconsidéré, et il en a fait un grand art. Il a créé le 9ème art. Aujourd’hui, dans cette revue, on a essayé d’être à notre tour des briseurs de frontières.
S.H : Les réseaux sociaux jouent-ils aujourd’hui un rôle dans la valorisation de l’image ?
F.G : Je pense, oui. Typiquement, chez Géo, on est très connecté. Via Géo.fr on se rend compte que c’est un levier de diffusion incroyable, que c’est une liberté qui est grisante. Après, je suis très attaché au format papier car il a un côté objet fini. C’est le cas avec « Tintin c’est l’aventure » qui est une belle revue qu’on a envie de garder. Mais le fait d’avoir un tremplin vers des vidéos, vers les réseaux sociaux, pouvoir mettre à jour certains contenus, c’est une liberté extraordinaire !
L’idée est de montrer que la bande-dessinée reste un médium moderne qui peut créer des formes de lecture encore jamais exploitées.
S. H : Je viens d’une génération où la BD n’était pas spécialement bien vue, et où l’information se trouvait dans des supports sérieux. On refusait de raconter l’information de manière rigolote. Actuellement, peut-on consommer de l’information sur n’importe quel type de format ?
Daniel Couvreur : Ici, il y a une réflexion sur le format, et particulièrement sur celui de la bande-dessinée. C’est un format tout à fait inédit. C’est un dépliant qui ne ressemble pas à un album de BD habituel. Il y a un côté ludique qui touche davantage les jeunes.
S.H : On lit dans l’ordre que l’on veut ?
D.C : Non, il y a un sens, c’est numéroté. Mais on peut y pénétrer de différentes manières car c’est un objet qui se manipule autrement qu’une BD, qu’un journal ou qu’une revue classique. Je n’ai rien contre le fait qu’on le feuillette mais, au final, il y a un vrai sens dans la lecture de ce récit.
S.H : Il y a une grande innovation derrière ?
D.C : Oui, l’idée était de montrer que la bande-dessinée reste un médium moderne qui peut créer des formes de lecture encore jamais exploitées. Le papier est un support ancien, c’est donc plus compliqué de trouver quelque chose qui va réellement surprendre. Trouver un format qui fonctionne et qui surprenne était un vrai défi. C’est celui que nous avons voulu relever avec ce mook « Tintin c’est l’aventure ». On voulait montrer que Tintin n’est pas que ce personnage de BD bien connu. Derrière, il y avait un auteur qui avait constamment la volonté de moderniser sa démarche. Hergé a travaillé dans la presse. Je travaille dans la presse aussi, mais dans la presse actuelle. On peut imaginer d’autres formats que celui que lui avait utilisé de son vivant.
S.H : Est-ce qu’il reste encore un peu de cette condescendance intellectuelle qu’on avait vis-à-vis de certains formats ou cela a-t-il disparu ?
D.C : Aujourd’hui, je pense que cela a disparu, particulièrement avec un objet comme celui-ci, grâce au travail graphique et à la beauté de l’objet. On est presque dans l’art. Il ne peut pas y avoir de condescendance en prenant dans les mains un tel numéro. Ce n’est pas possible.
S.H : Est-ce que l’image, telle qu’elle est aujourd’hui, a pu aider à la réhabilitation de la bande-dessinée ?
D.C : Oui. Par ailleurs, on est dans la civilisation de l’image. Évidemment que ça aide ! J’ai regardé les statistiques des éditeurs belges et la production de livres en Belgique, c’est 51 % de BD pour 0,14 % de littérature. J’ai bien dit 0,14 ! Moi-même, j’avais peine à y croire tellement c’est disproportionné !
La BD c’est aussi un langage à part entière.
S.H : Que dire à un parent qui ne jure que par les livres et dont l’enfant dévore des BD ? Que lui répondre quand il dit : « mon enfant ne lit pas, il fait de la BD » ?
Didier Platteau : Il faut répondre que la BD a investi tous les champs d’expression littéraire. Avant, la BD c’était des histoires pour enfants. Par la suite, ça a évolué vers les fictions pour adultes et, à présent, il y a de tout, même des autobiographies et des reportages. Un exemple : comment parler aux jeunes de Thoreau, un philosophe américain de la désobéissance civile ? Les jeunes, Thoreau… comment les y amener ? J’ai découvert qu’il existait une BD biographique de Thoreau, très bien faite et limpide. Je la leur ai donnée en leur disant : « voilà, lisez ça ! » Quand mon fils était préadolescent, il ne lisait que des BD, mais il est quand même arrivé aux livres. Aujourd’hui, il a 48 ans et il lit toujours des BD et des livres. Je pense que la bande-dessinée est un chemin pour arriver à la lecture dans la mesure où, maintenant, elle est très riche et diversifiée. La BD c’est aussi un langage à part entière. Je pense ici à un débat que nous avons eu sur les prix littéraires. En Belgique, nous avons le Prix Rossel, au journal Le Soir, dédié à la littérature. Cette année, nous avons également remis le premier Prix Victor Rossel de la bande-dessinée. Nous avons fait une table ronde avec des écrivains, des auteurs de BD, des dessinateurs, des scénaristes. Ça a commencé de manière un peu provocatrice. Une auteure de littérature faisant partie du jury nous a dit : « moi, les BD, je n’en ai jamais lu ! Ce n’est pas mon monde. D’ailleurs, quand j’en ouvre une, je ne comprends pas. » C’est l’aveu même d’un langage différent de l’écriture. Il faut fournir un réel effort pour le comprendre. Oui, il y a des mots, mais pas toujours puisque vous avez des BD sans mot et qui racontent tout de même une histoire. On parle d’images narratives. Ce n’est pas facile, comme on peut le faire croire, parce qu’il y a des images. Il faut justement pouvoir lire ces images !
PARUTION DU N°2 : 11 Septembre 2019, Cap sur les îles, Terre d’imaginaire! 15,99 € en kiosque et librairie.