Le Lab. a reçu l’auteure Valérie Cohen, auteure du roman « Depuis mon cœur a un battement de retard » paru aux Éditions Flammarion. Dans ce nouveau roman, Valérie Cohen nous questionne sur la trace que nous laisse notre premier amour. Tourne-t-on définitivement la page de notre première véritable peine de cœur ? Nous influence-t-elle sur nos relations présentes et futures ?
Salma Haouach a approfondi la réflexion avec Valérie Cohen.
Salma Haouach : « Depuis mon cœur a un battement de retard » relate une histoire d’amour, mais au-delà, aborde les attentes que l’on met dans une relation amoureuse. Est-ce quelque part une projection de soi ?
Valérie Cohen : J’ai voulu aborder les traces que les êtres aimés, amoureux ou non, laissent dans nos vies. Elles peuvent nous attacher, nous lier et nous empêcher de vivre pleinement l’instant présent. Nous sommes peut-être tous, à un certain niveau, prisonniers de ce que nous avons vécu. Ici, j’ai imaginé cela dans le cadre d’une histoire d’amour qui s’est mal terminée. Mais ça aurait pu être dans une relation parent-enfant ou dans une relation professionnelle. Comment sortir de souvenirs qui peuvent devenir une prison dorée ?
S.H : Il y a de l’abandon dans l’amour. C’est souvent le mental, Narcisse, qui conditionne une relation. N’est-ce vraiment qu’une histoire de cœur, l’amour ?
V.C : Il y a évidemment une histoire de cœur puisqu’au départ, dans une rencontre, c’est le cœur qui palpite. Et puis, il y a les premières blessures, les fêlures et, l’égo. Il y a aussi tout ce qu’on a pu vivre avant, qui joue sur notre sensibilité. Cela renvoie à l’image que l’on a de nous-mêmes.
Nous sommes également le produit d’une imagerie qu’on s’est faite de nous-mêmes et de la place qu’on a envie d’avoir dans une relation. Lorsque cette place est égratignée notre égo va réagir. Parfois au-delà de ce qui peut sembler juste pour quelqu’un qui n’est pas dans cette situation.
S.H : La justesse n’existe pas en amour. Si ?
V.C : Pas du tout ! Il n’y a pas de curseur qui dit que lorsqu’on souffre d’une blessure d’abandon, on doit guérir en deux semaines, deux jours ou deux mois. Il y a des personnes qui vont très vite pouvoir passer à autre chose. D’autres, ont besoin de plus de temps pour pouvoir assimiler l’idée qu’une histoire a un point final.
S.H : On a l’impression qu’elle (Emma, personnage principal dans le roman) n’accepte pas d’avoir été abandonnée. On ne comprend pas bien si Emma recherche ce premier amour parce qu’elle l’a véritablement aimé ou, si c’est parce qu’à l’époque, il est parti sans lui donner d’explications. Est-ce une blessure narcissique ?
V.C : J’ai l’impression que ça va au-delà de la blessure narcissique. Évidemment, son égo est un peu blessé. Surtout que c’est une « success woman », dans le contrôle d’elle-même. Tout lui réussit. Le fait qu’un homme ait pu partir sans lui donner d’explication est quelque chose de très violent. Au-delà de ça, en recherchant cet ancien amour, ce n’est pas lui qu’elle recherche mais c’est bien elle. La jeune femme éprise, vibrante, prête à toutes les folies. Ce qu’elle n’est plus car la vie a fait son temps. Elle est devenue une quadragénaire avec un boulot prenant, un mari, un enfant.
Souvent, en écrivant, j’accompagnais Emma dans cette quête de cet ancien amour. Je me disais : « Mais, elle est à la recherche d’elle-même. Elle est à la recherche de ce que cet homme a révélé en elle. »
S.H : Les gens en ont-ils vraiment conscience ? Ont-ils l’impression d’aimer l’autre, mais en réalité c’est eux qu’ils aiment, qu’ils essayent de s’aimer à travers l’autre ? Donc, quand l’autre s’en va, on a l’impression de ne plus s’aimer soi-même. On peut dire ça ?
V.C : J’ai l’impression qu’on a souvent tendance à mêler nos pensées et nos sentiments avec ce qu’on a vraiment dans le ventre et les tripes. On a l’impression que nos pensées récurrentes deviennent notre réalité. On en souffre. On se dit que l’autre à tous les défauts du monde et qu’on est le petit poucet abandonné. Finalement, nos pensées deviennent nos croyances, et nos croyances deviennent nos réalités. Émotionnellement, on va donc adhérer à ça. On entre alors dans une sorte de cercle vicieux émotionnel. Au contraire, il faudrait prendre un peu de recul, se recentrer juste sur l’émotion et se poser les bonnes questions : « Qu’est-ce qui a été blessé ? Est-ce que c’est mon égo ? Est-ce que ça réveille une blessure d’abandon que j’ai pu avoir avant, mais dont l’impact émotionnel prend plus d’importance à cause d’un petit événement ? Est-ce que, finalement ma vie est vide et que le fait d’avoir ces pensées occupe une place ? ». La vacuité est parfois pire. Cette imbrication entre le mental et l’émotionnel fait que, parfois, comme Emma, on se retrouve dans un puzzle sans arriver à trouver la bonne pièce.
S.H : Aujourd’hui, on a beaucoup de possibilités pour rencontrer de nouvelles personnes, un peu trop peut-être. N’est-ce pas devenu trop facile et de moindre qualité ?
V.H : Je pense que tu fais allusion au fait qu’Emma, pour retrouver son ancien amour, va s’inscrire sur un site de rencontre pour personnes mariées. Je ne suis pas sûre que ce soit plus facile. Je pense que ça fait partie des mœurs. Ça fait 21 ans que les sites de rencontre sont opérationnels et, cela fait une dizaine d’années que le premier spécialisé pour personnes mariées a été lancé. Une étude IFOP, réalisée l’année passée, indique que sur un panel de personnes entre 19 et 69 ans, au moins un tiers d’entre elles s’est déjà connecté activement sur un site de rencontre. Je ne pense pas qu’on peut éluder ce phénomène. Il y a 50 ans, personne n’allait au supermarché pour acheter de la viande. Comme le dit Emma, ces sites, c’est un supermarché de chair fraîche… Et pas toujours fraîche. Je pense que ça peut être pratique pour des gens qui n’ont pas facilement la possibilité d’accéder à un réseau plus large que le leur. Aussi, l’anonymat et le fait de pouvoir se dévoiler par petites touches aboli la timidité. Mais, évidemment, il n’y pas la magie de la rencontre qui fait qu’on peut avoir des papillons dans le ventre.
S.H : Cela voudrait dire qu’à priori au lieu d’aller à la rencontre de l’autre, il faudrait d’abord aller à la rencontre de soi ?
V.C : Plus les années passent, plus j’ai le sentiment qu’on aime à la hauteur de qui on est. Si on ne s’aime pas soi-même, c’est difficile d’ouvrir pleinement son cœur à quelqu’un. Beaucoup de personnes aiment l’autre en ayant des attentes, un peu comme un manque à combler. Dans ces cas-là, ce type d’amour va toujours s’accompagner de souffrance puisque l’autre personne ne sera qu’un objet pour remplir ce manque. Une relation prend un autre sens lorsque nous faisons un travail sur nous-même, lorsque nous nous connaissons mieux et que nous pouvons identifier nos failles. Alors, nous pouvons comprendre que l’autre n’est pas là pour remplir nos manques mais pour vivre à nos côtés. Quelqu’un avec qui on va faire un bout de chemin. Si on s’aime pleinement, ce qui est loin d’être un exercice facile, ça devient plus simple d’accepter d’être aimé. On ne se sent plus illégitime dans une relation, on n’a plus peur que l’autre parte. Donc, oui, peut-être que s’aimer soi est la clé pour aimer l’autre.
S.H : Beaucoup de femmes vont se reconnaître dans le personnage d’Emma, qui part à la recherche d’elle-même et de celle qu’elle a été. Vous verrez, en lisant ce livre, si elle le trouve. Ce roman est un chouette roman d’été qui vous amène dans un univers qui est… voilà ! Merci Valérie Cohen pour ce roman !
Dernière question : Emma, aime-t-elle avec son cœur, sa tête ou ses tripes ?
V.H : Je pense qu’au début du livre, elle aime avec sa tête et qu’à la fin du livre elle aime, et elle s’aime, avec son cœur.
Retrouvez ci-dessous, le podcast de cette rencontre dans son intégralité :
Emma est une quadragénaire mariée, épanouie et mère de famille. Une working-girl à qui tout réussit. En apparence, oui. Mais au fond, Emma n’a jamais oublié son premier amour. Une fois par an, elle revit cette journée d’il y a 20 ans. Le jour où il est parti. Puis, elle apprend que ce homme est actif sur des sites de rencontre pour personnes mariées… Faut-il tenter de le recontacter ?
« Depuis, mon cœur a un battement de retard », Valérie Cohen – Éditions Flammarion