En discutant avec mes amis de la thématique de cette édition, l’un d’eux m’a dit “il y’a mieux que la mélancolie. Il y a le saudade”.
Mais oui, c’est cela : ce mot, intraduisible, preuve vivante qu’une langue peut influer sur la façon dont vous vivez et explorez vos émotions, évoque la nostalgie douce et amère de l’inconnu.
Elle n’est ni noire ni écrasante. Inexplicable, elle se vit ! Un milkshake de plusieurs états d’âmes : mélancolie, tristesse, regrets, rêverie, nostalgie et insatisfaction.

« Un bonheur hors du monde », Camões.
« La saudade c’est la poésie du fado… », Fernando Pessoa.
« Épine amère et douce », Amàlia Rodrigues.

C’est ainsi que j’en suis arrivée à explorer le fado, ce genre musical portugais, qui prend la forme d’un chant mélancolique, illustrant “cette déchirure de l’être qui se découvre enfant du temps” d’Eduardo Lourenço.
Le Fado vient du latin “fatum” : destin. Ce chant populaire trouve ses racines parmi les populations déracinées du port de Lisbonne vers 1830 (la mélancolie du pays natal) afin de briser le tabou de la pauvreté.  Ces populations s’expriment avec ce qu’ils ont, leurs mots, leur misère et leur solitude. Cette énergie mélancolique, très poétique, est typique à ceux qui vivent près de la mer.
Le Fado est au départ chanté par tous les délaissés de la vie. Aznavour parlait dans ses textes de voyous, prostitués, …on y verrait presque les mêmes marins du port que clamait Brel.

Marine au clair de lune devant le port d’Amsterdam, 1904
Louis Etienne Timmermans (belge, 1846 – 1910)



Dés 1926, le fado devient une attache identitaire auprès des classes populaires et faillit se retrouver sous le joug de la dictature, lorsque toutes les expressions artistiques devaient passer par le fameux Comité de Censure.
Amalia Rodrigues est la première à incarner le fado moderne. En chantant avec un orchestre des textes de poètes portugais et, surtout, en chantant en plusieurs langues, elle contribuera à faire connaitre le fado à l’internationale. Début de la reconnaissance puisqu’en 2011, le fado a été classé Patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco.

Photo de Amalia Rodriguez Le Fado – Lisbonne, Portugal


C’est toute une génération de fadistas qui le font voyager, tels Ana Moura, Mariza, Cristina Branco, Katia Guerreiro (mon coup de coeur), Antonio Zambujo…

“Le fado, c’est savoir qu’on ne peut pas lutter contre ce qui nous est donné. C’est ce que nous ne pouvons changer. C’est se demander pourquoi, et ne pas trouver de réponse. Le fado, c’est questionner constamment, tout en sachant qu’il n’y a pas de réponse.” Fernando Pessoa.

 

Extrait Katia Guerreiro – Tudo isto é Fado




Dans la culture populaire portugaise, le fado est sien, on dit d’ailleurs : “chanter son fado” afin de s’approprier sa propre expérience de la mélancolie : les mots sont déstructurés du langage bienséant et s’utilisent pour exprimer son vrai sentiment, unique. Tous les textes sont improvisés et sont dits à la première personne, en argot, sortant des sentiers battus de la poésie des érudits. C’est ici que s’arrêtera donc la comparaison avec la mélancolie de nos contrées : le fado est populaire, presque un langage contestataire, quasi licencieux, à l’opposé des canons littéraires d’un Baudelaire.

 
“N’est pas fadista seulement celui qui chante, mais aussi celui qui écoute”, rappelle-t-on ainsi durant les sessions de fado. Là où un poète s’élancera sans fin sur les désarrois de son âme, le fado et le fadista se définissent dans un chant connecté : écoutez la délicatesse du dialogue entre le chanteur et le guitariste, le public et le chanteur : une expérience intégrée où tous vivent le même état d’âme. Le temps d’arrêt de Katia Guerreiro lors de son chant, elle s’élance sans filet a capella et livre cette émotion au public qui la reçoit sans se demander si c’est trop. Ecoutez, c’est cadeau.

 

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