Il y a 12 ans, en voyage aux Etats-Unis, j’ai acheté un livre qui s’appelait « Think Big and Kick Ass ». Littéralement « Voyez les choses en grand et déchirez tout », quoique le livre n’ait jamais été traduit en français. C’est sûr que l’orthodoxie d’un tel langage a plus sa place au pays de la success story qu’ici.

L’idée centrale du livre est on ne peut plus simple : cela vous demande la même énergie de prétendre à de grandes choses, alors pourquoi voir petit ? Pas con. Ainsi, nous aurions toujours (et seulement) deux options dans la vie : penser grand ou penser petit. « Quitte déjà à penser, autant penser grand ». Le discours me fascine, pourtant je sens bien qu’il me divise. C’est que j’aime aussi les petites choses moi. Pour peu que les choses simples soient petites.

Comme l’auteur du livre, j’ai un fort désir d’infini. « Simplement », pour moi l’infini se situe dans le grand comme dans le petit. Dans un accomplissement conséquent qui passera à la postérité (on m’a assuré que cette chronique serait publiée…) comme une minute passée à jouer avec mon neveu et ma nièce.

Si mes souvenirs sont bons, l’école cautionne mon ressenti : en mathématique, les infinis tendent dans les deux directions – vers le grand comme vers le petit. Et en plus, il n’existerait pas d’infini plus grand que tous les autres. Mais je sais bien que le concept d’infini est surtout une vue de l’esprit et le livre cité en introduction nous dit qu’ici, dans le monde matériel – dans tous les sens du terme, il y aurait bien une échelle.

Et de fait, pourquoi : gagner une élection communale si l’on peut gagner une élection fédérale, diriger une PME si l’on peut diriger une multinationale, être Ministre de l’Education si l’on peut devenir Premier Ministre, être pigiste si l’on peut présenter le journal télévisé, être directeur marketing si l’on peut être CEO, se contenter de gagner bien sa vie si l’on peut la gagner très bien ? Autrement dit, pourquoi ne pas maximiser son potentiel.

L’auteur affirme que c’est par manque d’ambition ou de confiance en soi. Bienvenu au rayon du développement personnel. J’ai une autre interprétation à proposer – qui n’exclut pas pour autant la première. Cela tiendrait au fait que derrière toute action, il y a une cause. Et que nous, communs des mortels, la servons mieux (ou « simplement » déjà très bien) d’en bas.

En gardant le contact avec les habitants de sa commune ou ses employés, en agissant en amont sur l’éducation des jeunes plutôt qu’en passant son temps à parler à un Président déjà érudit, en nous servant de notre fine plume plutôt que notre grasse diction, en mettant à profit notre excellent sens de la formule plutôt que notre capacité moyenne à manager, en subvenant aux besoins de notre famille tout en continuant à passer du temps qualitatif avec elle quotidiennement. Le tout par choix, voire par envie, mais en tout cas pas forcément par dépit.

Le faire pour le faire, la grandeur pour la grandeur, le pouvoir pour le pouvoir… ce ne peut pas être ça qu’on appelle la réussite en 2019, si ? Zuckerberg, Bezos, Tim Cook… il paraîtrait que ce n’est plus tant l’argent qui motive les nuits d’insomnie à la Silicon Valley, mais les contributions laissées à l’Humanité. C’est peut-être ça finalement la bonne définition. Être un grand homme, c’est faire de grandes choses qui bénéficient (au moins tout autant) aux petits.

Je vous propose un exemple qui m’est apparu récemment. Celui du frenchie Auguste Bartholdi. Il nous a laissé une réalisation dont la notoriété dépasse vraisemblablement celle de Coca-Cola. Grande à tous points de vue : en taille, visibilité, célébrité, longévité, storytelling, nombre de selfies, et surtout en valeurs véhiculées. A la manière d’une publicité subliminale, sans effusion ni discussion, ladite création milite depuis plus de 130 ans aux côtés de l’Egalité et de la Fraternité. Dans le mille, j’ai nommé … la Statue de la Liberté.

Pourtant, peu d’entre nous connaissons le nom de son concepteur. C’est qu’il s’est sacrifié au nom de la cause qu’il défendait. Imaginez si elle s’était appelé la « Statue de Bartholdi ». Après tout, Gustave Eiffel a bien érigé une tour éponyme à la même époque. L’homme aurait certes gagné en notoriété (donc vraisemblablement en grandeur du point de vue de l’auteur), mais il aurait manqué de servir la cause sous-jacente à son œuvre. Autrement dit, par folie des grandeurs, il serait passé à côté de l’objet même qui sous-tendait son ambition.

Pour l’ensemble des terriens, la Tour Eiffel est Paris, la Statue de la Liberté New York. Mais pour l’Humanité, l’une est la trace d’un exploit technologique, l’autre le symbole – mais surtout le rappel – de sa propre essence. En pensant grand (en ce compris par le sacrifice de son patronyme), Bartholdi a rappelé des millions de gens à eux-mêmes, avant lui-même.

Mais au fond, une œuvre peut-elle seulement être grande si sa grandeur n’est justifiée par sa cause initiale ?

Cela étant dit, pour ce qui est de la forme à proprement parler, le livre de recettes qui nous a inspirés aujourd’hui vaut sans doute le coup d’œil. L’auteur du vieux grimoire intitulé « Think Big and Kick Ass », retrouvé poussiéreux dans ma cave, n’est autre que Donald Trump. A l’époque de la publication, l’homme était principalement connu pour sa grande … Trump Tower.

Sarah Halfin

Avec nos remerciements à Jul pour son illustration de la chronique.

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