Apprendre à déconstruire les préjugés et favoriser le dialogue interculturel grâce à une soirée de débats, tel était le souhait émis par Les Femmes de l’Olivier et Brussels Stories. Comme une danse à trois temps, des panels se sont succédés pour tenter de répondre à trois grandes interrogations : comment combattre les préjugés existants dans notre société ? Comment mieux communiquer l’identité culturelle de l’autre ? Quel rôle les médias jouent-ils dans la diffusion des préjugés ?

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Aujourd’hui, on parle souvent du « racisme ordinaire » comme étant la forme la plus insidieuse de l’expression de ce dernier. Le racisme ordinaire, c’est cette sorte de discrimination déguisée constituée de petites phrases d’apparence bénignes telles que « tu parles drôlement bien le français pour un Arabe » ou encore « Tu es de quelle origine ? On voit bien que tu n’es pas d’ici ». Si ces phrases peuvent faire penser à de la simple curiosité, elles sont en réalité subies comme de terribles micro-agressions au quotidien. Selon Marco Martinello, professeur de sociologie et directeur du Centre d’Étude de l’Ethnicité et des Migrations, nous avons tous commis une erreur : celle de croire que le racisme avait disparu : « le racisme est aujourd’hui passé en sourdine, il s’exprime différemment par une plus grande subtilité en public et des propos plus virulents sur la toile. Malheureusement, qu’on veuille reconnaître ou non, l’idéologie raciste est au cœur de la culture européenne depuis la fameuse découverte du nouveau monde ».

Cette idéologie raciste serait selon le professeur, de plus en plus sectorialisée notamment à cause du digital et de l’instantanéité des réseaux sociaux. Résultat, on s’éloigne lentement de la convergence des luttes pour laisser place à la concurrence victimaire. Ainsi, « Qui est la plus grande victime du racisme ?» ou encore : « qui est le plus discriminé ? » deviennent des questionnements sans fins qui priment sur le reste.

Pour Patrick Charlier, directeur de l’UNIA, institution qui est chargée de lutter contre toutes les formes de discrimination : discrimination raciale, ajoute la dimension des stéréotypes et des préjugés.  Selon lui, le type de comportement dont on peut être victime va être différent en fonction des préjugés : si on parle de l’afrophobie, la réalité de ce que vivent les afro descendants, n’est pas la même chose que l’antisémitisme et l’islamophobie. Il ajoute : « il est important d’avoir connaissance suffisamment fine des représentations des stéréotype suffisamment fines vis à vis des différents groupes pour pouvoir donner une réponse appropriée par rapport à la réalité.  La convergence des luttes est nécessaire ».

  « L’islamophobie est bien réelle à Bruxelles »

Ibrahim Ouassari, fondateur de Molengeek un incubateur à projet où sont organisés des formations, des workshops à destination des jeunes confirme : il sent bien un sentiment de discrimination très fort chez les jeunes avec qui il travaille : « l’islamophobie est bien réelle à Bruxelles. La situation est devenue assez complexe : la parole raciste est de plus en plus libérée et fait que les jeunes s’auto-discriminent. À partir de là, le jeune lui-même se met des bâtons dans les roues, il sait qu’il sera le dernier sur la liste quand il enverra son CV. Il y a un réel racisme latent du ‘c’est normal’ ».  Si en 2018 en Belgique, le racisme est devenu beaucoup plus subtil et intégré dans les mœurs. Il n’en demeure pas moins dissimulé dans les habitudes, dans une normalisation des propos et une déculpabilisation de l’auteur.

Les mots peuvent aussi être des armes.

Comme le disait Jean-Paul Sartre : « les mots sont des pistolets chargés », ils renvoient à une certaine forme de pouvoir non négligeable.  Pour Henny Bijleveld, neurolinguiste et spécialiste du bégaiement, le langage est notre premier conditionnement :  il nous permet de penser et de nous exprimer. On appelle première langue, la langue que l’on entend en premier à la naissance. Que ce soit celle du père ou celle de la mère, cette première langue va former notre rapport au monde. Selon Henny, il est évident que lorsqu’un suisse parle de son pays, il voit une montagne tout comme l’irlandais voit un plat pays. Si nous sommes conditionnés par notre langue maternelle, nous le sommes également à travers notre environnement et notre éducation. Il est évident que l’apprentissage des langues et l’acquisition de compétences interculturelles contribuent à ouvrir notre esprit et nous permet de nous libérer de l’enfermement culturel

« Pour pouvoir apprendre une autre langue, il faut impérativement que l’environnement de l’enfant soit positif » : affirme la neurolinguiste.  Il est important pour le bon développement de l’enfant que la maman puisse parler avec lui dans sa langue maternelle : « on a vécu toute une période où les personnes issues de l’immigration se forçait à parler aux enfants dans la langue du pays : c’est une véritable catastrophe. La première langue est à la fois la langue de l’affection et le lieu de transmission des racines, c’est essentiel à la construction de soi ».

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Médias : on ne peut pas faire l’économie de la diversité 

Aborder la question de la diversité et des médias relève d’un véritable parcours d’obstacles infernal tant les réalités sont multiples et les décisions complexes. Nous sommes quotidiennement baignés dans un environnement d’informations et de divertissements si bien que les médias deviennent un vecteur de socialisation à part entière.  Ils jouent un rôle non négligeable dans la construction de nos représentations et dans les stéréotypes qui nous situent dans la société.   La question de la représentation de la diversité dans les médias a été objectivé par le CSA à travers le baromètre de la diversité et de l’égalité. En pratique, cela consiste à regarder pendant 7 jours consécutifs tous les programmes télévisés sur toutes les chaînes de la Fédération Wallonie Bruxelles selon 5 critères de diversité : le genre, l’âge, l’origine, la catégorie socio-professionnelle et le handicap. Le dernier en date réalisé en 2013 est alarmant : la diversité stagne voir même recul à certains niveaux.  Les femmes sont sous-représentées sur les chaînes et un tabou persiste concernant le handicap et certaines catégories d’âge.

Pour Émilie Herbert, chercheuse indépendante au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, cette sous-représentation des femmes est assez paradoxale lorsqu’on sait qu’il y a 51% de femmes en Belgique. Elles ne sont donc pas minoritaires mais minorisées : « ce qui est grave, c’est qu’on est forcés de constater que les plans qui visent à améliorer la situation ne fonctionnent pas, c’est un véritable échec ! » ajoute-t-elle.  Selon la chercheuse, la seule manière de sortir de cette forme d’inertie serait d’imposer des actions concrètes avec une obligation de résultat :  ces objectifs devraient être transparents et rendus publics.  Safia Kessas, journaliste et responsable Diversité et Égalité à la RTBF ajoute que les mentalités commencent à bouger et que des initiatives sont petit à petit mises en place, elle cite notamment le site Expertalia qui rassemble des experts issus de la diversité. Mis au point par l’Association des journalistes professionnel, l’outil a été créé et pensé pour un usage double : Il est à destination des journalistes, pour leur apporter un outil supplémentaire destiné à faciliter la pratique quotidienne de leur métier. Et également des experts, pour leur donner une visibilité dans le paysage médiatique. La soirée d’échange s’est terminée sur cette constatation : si la loi en créant un réel plan d’action peut aider à lutter contre les discriminations, nos actions au quotidien peuvent constituer les petits ruisseaux qui feront les grandes rivières de demain.

Au Lab  Magazine, nous retiendrons principalement une leçon de cette rencontre : Entre le préjugé et la discrimination, il n’y a parfois qu’un pas, de même qu’entre la rencontre et la reconnaissance de l’autre.

Elisa Brevet

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